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      <titleStmt>
        <title>Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1685 (tome XXX).</title>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>OBVIL/IReMuS</edition>
        <respStmt>
          <name>Nathalie Berton-Blivet</name>
          <resp>Responsable éditorial</resp>
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        <respStmt>
          <name>Anne Piéjus</name>
          <resp>Responsable éditorial</resp>
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          <name>Frédéric Glorieux</name>
          <resp>Informatique éditoriale</resp>
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          <name>Vincent Jolivet</name>
          <resp>Informatique éditoriale</resp>
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      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <publisher>Sorbonne Université, LABEX OBVIL</publisher>
        <date when="2017"/>
        <idno>http://obvil.sorbonne-universite.fr/corpus/mercure-galant/MG-1685-06e</idno>
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          <licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/"><p>Copyright © 2019 Sorbonne Université, agissant pour le Laboratoire d’Excellence «
    Observatoire de la vie littéraire » (ci-après dénommé OBVIL).</p>
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        <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’<date>avril 1685</date> (tome XXX).</bibl>
      </sourceDesc>
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        <date when="1685-06"/>
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    <body>
      <head><hi rend="i">Extraordinaire du Mercure galant</hi>, quartier d’avril 1685 (tome XXX).</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_001" resp="wordpro">
          <head>Metamorphose du Butor en Sabot [par Monsieur Jubert de la Douanne de Lyon]</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 1-14</bibl>
          <p><hi rend="i">La Métamorphose par laquelle je commence cette XXX. Lettre Extraordinaire, n’est point une de ces Fables que l’on a coûtume d’inventer, pour instruire le Lecteur par quelque trait de Morale. Une Avanture aussi plaisante que particuliere, en a fourny le sujet, &amp; l’Autheur s’est diverty à la déguiser sous des noms d’Oyseaux. Elle est écrite d’un stile fort naturel, &amp; veritable dans toutes ses circonstances. Je ne nomme point le lieu où la chose est arrivée. Il suffit qu’on la rapporte de la maniere que tout s’est passé, &amp; il seroit inutile de donner moyen aux Curieux de découvrir les Intéressez. Quelque aversion qu’on ait pour les Médisans, sur tout pour ceux qui se vantent de faveurs receuës des Belles, l’honnesteté veut qu’on les épargne, quand ils ont esté punis aussi rigoureusement que le Cavalier qui a donné lieu à ce que vous allez lire</hi>.</p>
          <quote>
            <label>METAMORPHOSE<lb/>DU BUTOR<lb/>EN SABOT.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Dans l’enceinte des Murs où la petite Canche</l>
              <l rend="i">Semble par ses contours retourner sur ses pas,</l>
              <l rend="i">On voit mille Beautez dont les brillans appas</l>
              <l rend="i">Sont audessus de l’art du Peintre &amp; de la Planche.</l>
              <l rend="i">Le Terroir abondant, les Prez, les Bois, les Eaux,</l>
              <l rend="i">Font habiter ces Lieux d’un grand nombre d’Oyseaux.</l>
              <l rend="i"> Ce fut la que par avanture</l>
              <l rend="i">Un Butor ébloüy de la vive beauté</l>
              <l rend="i">D’une Fauvette, &amp; de sa propreté,</l>
              <l rend="i"> Fit un effort sur sa nature.</l>
              <l rend="i">Quitant son nid au milieu du grand jour,</l>
              <l rend="i">Pour luy conter l’excés de son amour,</l>
              <l rend="i">Il s’enhardit, &amp; luy rendit visite ;</l>
              <l rend="i"> Mais destitué de conduite</l>
              <l rend="i"> Il ne pût s’arrester</l>
              <l rend="i"> Au choix de sa bonne fortune ;</l>
              <l rend="i">Et sans en faire cas, il alla fureter</l>
              <l rend="i"> Des Nids d’une Espéce commune,</l>
              <l rend="i">Où pour certains égards il fut tres-bien receu,</l>
              <l rend="i">Comme un nombre d’Oyseaux de diférent plumage,</l>
              <l rend="i">Dont il ne suivit pas la régle &amp; le ménage,</l>
              <l rend="i">Son dessein avortant sitost qu’il fut conceu,</l>
              <l rend="i">En sorte qu’il haussa son vol &amp; sa brisée,</l>
              <l rend="i">Croyant trouver par tout une victoire aisée ;</l>
              <l rend="i"> Et ce Brutal audacieux</l>
              <l rend="i"> Cherchant de Place en Place,</l>
              <l rend="i"> Osa porter bien prés des Cieux</l>
              <l rend="i"> Sa passion &amp; son audace.</l>
              <l rend="i"> Qui pourra croire qu’un Butor</l>
              <l rend="i"> Ait voulu prendre un tel essor ?</l>
              <l rend="i"> Sa chance luy sembloit trop bonne</l>
              <l rend="i">Pour voir rien d’éclatant qu’il n’eust osé tenter,</l>
              <l rend="i"> Ce qui l’émût à visiter l’Aiglonne.</l>
              <l rend="i">L’acueil qu’elle luy fit devoit le contenter ;</l>
              <l rend="i"> Mais par des récits teméraires</l>
              <l rend="i">L’Etourdy ruina l’état de ses affaires.</l>
              <l rend="i">Les Amans d’aujourd’huy suivent cette leçon ;</l>
              <l rend="i">Moins ils ont de faveurs, plus ils en font paroistre,</l>
              <l rend="i">Et tel souvent auroit peine à connoistre</l>
              <l rend="i">Celle qu’il fait sensible à son affection.</l>
              <l rend="i"> Leur but n’est plus la déférence,</l>
              <l rend="i"> Le secret, ou la joüissance.</l>
              <l rend="i">Ils se font de l’éclat un bonheur si parfait,</l>
              <l rend="i">Que ces Extravagans préférent la Nouvelle</l>
              <l rend="i"> De ce que jamais ils n’ont fait</l>
              <l rend="i">A la possession de la Cause réelle.</l>
              <l rend="i">Mais sans plus m’arrester à leur legéreté,</l>
              <l rend="i">Et les abandonnant à leur peu de conduite</l>
              <l rend="i"> Contre qui la raison s’irrite,</l>
              <l rend="i"> Revenons à nostre Eventé.</l>
              <l rend="i">Il fut à peine introduit chez l’Aiglonne,</l>
              <l rend="i">Qu’il luy conta ses progrés glorieux,</l>
              <l rend="i"> Et crût gaigner une Couronne</l>
              <l rend="i"> Par la description des Lieux.</l>
              <l rend="i"> Cette Reyne du Volatile,</l>
              <l rend="i"> Comme un Espion tres-habile,</l>
              <l rend="i">Feignit de l’écouter par admiration,</l>
              <l rend="i"> Pour induire son insolence</l>
              <l rend="i"> A plus grande narration,</l>
              <l rend="i"> Et le punir de son offense.</l>
              <l rend="i">Il dit que la Fauvette estoit à petit prix,</l>
              <l rend="i">Que sa basse Alliance attiroit son mépris ;</l>
              <l rend="i">Que deux autres Oyseaux d’une Espéce étrangere</l>
              <l rend="i"> Sur elle n’enchérissoient guére ;</l>
              <l rend="i"> Bref il osa dans son raport</l>
              <l rend="i">Insulter à l’honneur d’une agréable Pie,</l>
              <l rend="i">Disant qu’il la mettoit au rang de la charpie,</l>
              <l rend="i">Pour estre sans défense au plus petit effort.</l>
              <l rend="i">L’Aiglonne aimant la Pie, eut peine à se contraindre,</l>
              <l rend="i">Toutefois elle crut qu’il faloit encor feindre,</l>
              <l rend="i"> Espérant voir en peu de jours</l>
              <l rend="i">Celles qu’il déchiroit par ses lâches discours.</l>
              <l rend="i"> Ensuite il revit ses Maistresses,</l>
              <l rend="i">Dont croyant obtenir quelques douces caresses,</l>
              <l rend="i"> En supposant un traitement bien doux,</l>
              <l rend="i">Il fit une seconde &amp; semblable Nouvelle,</l>
              <l rend="i">Mit par un faux récit l’Aiglonne en parallele,</l>
              <l rend="i">Excepté qu’il parla de Jardin &amp; de Choux.</l>
              <l rend="i"> Un jour elles se rencontrérent</l>
              <l rend="i">Par un coup du hazard dans son Apartement,</l>
              <l rend="i">Et comme elles cherchoient un éclaircissement,</l>
              <l rend="i">Leur commun intérest fit qu’elles s’accostérent,</l>
              <l rend="i">Et qu’un pareil motif leur échauffant le cœur,</l>
              <l rend="i">Tout leur entretien fut du Calomniateur,</l>
              <l rend="i"> Dont l’une blâmoit le caprice,</l>
              <l rend="i"> L’autre condamnoit l’injustice ;</l>
              <l rend="i">Et de ses entretiens toutes faisant l’aveu,</l>
              <l rend="i"> Y trouvoient beaucoup d’insolence,</l>
              <l rend="i">Lors que l’Aiglonne entra, qui reconnut un feu</l>
              <l rend="i">Plus ardent que celuy qu’inspiroit sa présence.</l>
              <l>J’ay, <hi rend="i">dit-elle en raillant,</hi> ce me semble, observé</l>
              <l> Sur vos visages quelques flames ;</l>
              <l> Vous devez bien ouvrir vos ames</l>
              <l>A celle qui pour vous n’a rien de réservé.</l>
              <l> Hélas ! <hi rend="i">dit la Pie en colere,</hi></l>
              <l> Vous avez part à ce mistere ;</l>
              <l>Le Butor hautement devant moy s’est vanté</l>
              <l> Qu’il faisoit de vous à sa guise,</l>
              <l><hi rend="i">Une autre interrompit,</hi> C’est ce qu’il m’a conté,</l>
              <l> Et j’en demeuray si surprise,</l>
              <l>Que mon esprit en fut quelque temps obscurcy.</l>
              <l>Certes, <hi rend="i">dit la troisiéme,</hi> il me l’a dit aussi.</l>
              <l> Il vous l’a dit, <hi rend="i">reprit l’Aiglonne ?</hi></l>
              <l rend="i">La Fauvette aussi-tost, d’un accent tendre &amp; doux,</l>
              <l><hi rend="i">Luy répondit,</hi> Madame, je frissonne</l>
              <l>Quand je resve aux discours qu’il avance de vous.</l>
              <l> Ah, l’Insolent, le Teméraire !</l>
              <l> Je le feray ressouvenir,</l>
              <l> Quoy qu’indigne de ma colere,</l>
              <l> Des propos qu’il a sçû tenir ;</l>
              <l>Et pour vous obliger à suivre ma vangeance,</l>
              <l> Apprenez que cet Indiscret,</l>
              <l> Bien loin de garder le secret,</l>
              <l>M’a fait sur vous pareille confidence.</l>
              <l>O Justes Dieux ! <hi rend="i">dirent elles alors,</hi></l>
              <l> Il faut luy mutiler le corps,</l>
              <l>En prendre un châtiment qui luy-mesme l’étonne,</l>
              <l>Et le mette en état de donner de l’horreur.</l>
              <l> N’allons pas si loin, <hi rend="i">dit l’Aiglonne,</hi></l>
              <l>Il faut en toute chose avoir soin de l’honneur.</l>
              <l> On doit mesme en Judicature</l>
              <l> Agir avec proportion,</l>
              <l> Et former la punition</l>
              <l>Sur le rang de celuy qui commet une injure.</l>
              <l>Plus il est élevé, plus le crime commis</l>
              <l> Exige de peines cruelles ;</l>
              <l>Mais quand il part d’un Sexe trop soûmis,</l>
              <l>On le punit comme des bagatelles.</l>
              <l> Ainsi j’ordonne un châtiment</l>
              <l> Digne d’un Butor insolent.</l>
              <l rend="i"> Et se retournant vers la Pie,</l>
              <l>C’est à vous, m’a-t-on dit, seulement qu’il se fie ;</l>
              <l> Par là nous pouvons profiter</l>
              <l> De sa confiance crédule,</l>
              <l> L’obligeant à vous visiter,</l>
              <l> Demain seul dans vostre Cellule,</l>
              <l>Où je feray porter trois ou quatre balais</l>
              <l> Par mes plus robustes Valets.</l>
              <l rend="i"> Ce complot pris, on se retire</l>
              <l rend="i">Dans le dessein d’écorcher le bon Sire,</l>
              <l rend="i"> Qui suivant son tempérament,</l>
              <l rend="i"> Sa teste vuide &amp; sans cervelle,</l>
              <l rend="i">Ne pouvant demeurer en repos un moment,</l>
              <l rend="i"> Vint se bruler à la chandelle,</l>
              <l rend="i">Ou-bien, si vous voulez, accomplit son destin,</l>
              <l rend="i">En rendant à la Pie un devoir clandestin.</l>
              <l rend="i"> Elle feignit d’estre affairée,</l>
              <l><hi rend="i">Et luy dit tendrement,</hi> Faites-moy le plaisir</l>
              <l> De me laisser toute cette soirée,</l>
              <l>Demain nous nous verrons, seuls, &amp; plus à loisir.</l>
              <l rend="i">Cet Idiot croyant sa fortune meilleure,</l>
              <l> <hi rend="i">Dit,</hi> J’y viendray seul, ou je meure.</l>
              <l rend="i">Il sortit, dormit peu, s’éveilla, se rendit</l>
              <l rend="i">Au lieu qu’il présumoit tout remply de délices.</l>
              <l rend="i"> Jugez quel trouble le saisit,</l>
              <l rend="i">Voyant en tant de mains l’objet de ses supplices.</l>
              <l rend="i"> Il sçavoit que tous ses raports</l>
              <l rend="i"> Estoient faux, ou peu veritables.</l>
              <l rend="i">Aussi pour s’évader fit-il de grands efforts,</l>
              <l rend="i">Mais il avoit à faire à des Inéxorables,</l>
              <l rend="i">Qui sans avoir égard à ses foibles raisons,</l>
              <l><hi rend="i">Crioient incessamment,</hi> Tuons, tuons, tuons.</l>
              <l><hi rend="i">L’Aiglonne dit,</hi> Je sçay ce qu’on doit aux Impies,</l>
              <l>La mort leur est un châtiment trop doux ;</l>
              <l> Mes deux Servantes, ou Harpies,</l>
              <l>Luy feront rëssentir l’effet de mon couroux.</l>
              <l> Allons vîte, qu’on le dépoüille,</l>
              <l> Et que dans son sang on le moüille.</l>
              <l rend="i"> Alors ces barbares Oyseaux,</l>
              <l rend="i"> Suivant leur naturel sauvage,</l>
              <l rend="i">Imprimérent aux reins de ce Roy des Lourdauts</l>
              <l rend="i"> Les sanglans effets de leur rage,</l>
              <l rend="i">Et par des coups de foüet fortement redoublez</l>
              <l rend="i">Le mirent en l’état qu’on peint les Flagellez.</l>
              <l> En a-t-il assez, <hi rend="i">dit l’Aiglonne ?</hi></l>
              <l>Non, <hi rend="i">répondit cette Troupe félonne,</hi></l>
              <l>Il faut recommencer, &amp; ne se lasser pas</l>
              <l>Montrez tout de nouveau la force de vos bras.</l>
              <l rend="i"> Se levant elles empoignérent</l>
              <l rend="i"> Les membres qui se présentérent.</l>
              <l rend="i"> L’une le saisit par devant,</l>
              <l rend="i">Celle-là par les pieds, celle-cy par les aîles,</l>
              <l rend="i">Tandis que sans cesser deux Mégeres cruelles</l>
              <l rend="i"> Le mirent en moins d’un instant</l>
              <l rend="i"> Dans un état si pitoyable,</l>
              <l rend="i">Que le récit sembleroit une Fable,</l>
              <l rend="i"> Le dépit les tenant trop fort</l>
              <l rend="i"> Pour s’éteindre que par sa mort,</l>
              <l rend="i">Qui n’eust pas fait sans doute un plus long intervalle,</l>
              <l rend="i">Sans le Dieu Mars, qui par compassion</l>
              <l rend="i"> Changea l’estre de ce Bouffon</l>
              <l rend="i"> Dont il chérissoit la Caballe,</l>
              <l rend="i">En luy donnant la forme d’un Sabot<note resp="author">Sorte de Toupie sans fer au bout d’en-bas, dont les Enfans joüent, en la faisant tourner avec un foüet de cuir.</note></l>
              <l rend="i"> Qu’il vous faut dépeindre en un mot.</l>
              <l rend="i"> Sans cesse il dort, ou s’il s’éveille,</l>
              <l rend="i"> C’est au seul bruit de sa punition ;</l>
              <l rend="i">Nature en ce seul cas luy conserva l’oreille,</l>
              <l rend="i">Comme un surcroist à son affliction,</l>
              <l rend="i">Tant elle est rigoureuse à punir les infames</l>
              <l rend="i">Qui disent les faveurs, ou le secret des Dames.</l>
            </lg>
            <p><hi rend="sc">Jubert</hi>, de la Doüanne de Lyon.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_014" resp="wordpro" copyOf="JLB_MG-1685-06e_102">
          <head>Suite du Traité de la Sepulture et des Tombeaux [par Mr Rault de Rouen]</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 14-115</bibl>
          <quote>
            <label>SUITE DU TRAITÉ<lb/>DE LA SEPULTURE<lb/>ET DES TOMBEAUX.</label>
            <p>Il faut maintenant parler des Corps qu’on bruloit. Cette coûtume s’observoit chez diverses Nations. Selon la Fable, Pluton a esté le premier qui ait inhumé les Corps ; &amp; Hercule a esté aussi le premier qui les ait brulez, comme dit Alexandre Sardus, liv. 1. chapitre dernier. Argius, Fils de Licinius, a esté le premier des Grecs dont le corps ait esté réduit en cendre, ayant esté tué en la guerre que ce Peuple avoit contre Laomedon Roy de Troye. Quoy que cette coûtume soit tres-ancienne, elle ne laisse pas d’estre descenduë jusqu’au temps des Empereurs Romains ; mais elle ne se pratiquoit presque que pour les Personnes de considération.</p>
            <p>Quand le Roy des Scythes venoit à mourir, ils en vuidoient les entrailles, &amp; remplissoient le Corps de benjoin, d’encens, de cinamome, &amp; d’autres parfums broyez avec de la graine d’ache &amp; d’anis, &amp; enduisoient tous les membres de cire, puis l’ayant mis dans un Chariot, ils le portoient dans toutes les Provinces de la Scythie, &amp; enfin, comme rapporte Herodote liv. 4. ils luy donnoient la sépulture. Les Sepulcres des Roys de cette Nation estoient proche de l’embouchure du Boristene, où il commence à estre navigable, fort peu loin du Païs des Gerches. Ceux qui recevoient le Corps du Prince, estoient obligez d’en faire autant que faisoient ses Courtisans &amp; ses Domestiques, c’est à dire, de se couper une oreille, de tondre leurs cheveux en rond, de se taillader les bras, de se déchirer avec les ongles le nez &amp; le front, &amp; de se percer la main gauche de fléches ; ce qui se reïtéroit encore au bout de l’année. Mais ce qui passe toute humanité, on étrangloit sa Concubine qu’il avoit chérie le plus, pour l’ensevelir dans le mesme Tombeau. De plus, tous ceux qui avoient esté au service du Prince, ne faisoient pas de difficulté de se donner la mort pour l’acompagner, comme son Echanson, ses Estafiers, &amp; autres. C’est aussi ce que raporte Zuingerus, sur la Pompe des Funérailles de ces Roys.</p>
            <p>Les Indiens avoient la coûtume de bruler les Corps de leurs Princes, &amp; dans le mesme Bucher on mettoit celuy de la Femme qu’ils avoient le plus aimée, quoy que les Brachmanes qui estoient leurs Prestres, inhumassent les Corps de leurs semblables.</p>
            <p>Les Thraces &amp; les Gétes gardoient cette mesme coûtume, de mettre dans le même Sepulcre la Femme de leurs Princes la plus chérie, &amp; c’estoient les Parens les plus proches qui luy donnoient le coup mortel, afin qu’elle les accompagnast en la mort, comme elle avoit fait en leur vie.</p>
            <p>Les Ethiopiens observoient à peu prés la mesme coútume, &amp; mettoient avec le Corps dans le Bucher quantité de parfums, d’herbes odoriférantes, &amp; d’encens, pour en rendre la flame plus agreable à l’odorat. Autant en faisoient les anciens Allemans, mais sans odeurs.</p>
            <p>Les Gaulois, avant qu’ils eussent esté vaincus par César quand il vint dans les Gaules, avoient aussi la coútume de bruler les Corps, en mettant au mesme Bucher ce que le Défunt avoit eu de plus cher &amp; de plus précieux.</p>
            <p>Le Peuple commun chez les Thraces avoit une coútume opposée à la plûpart des autres Nations, car on solemnisoit les Funérailles des Défunts avec grande joye, des Banquets somptueux, &amp; l’harmonie des Instrumens, &amp; ils pleuroient le jour de leur naissance, parce, disoient-ils, qu’ils estoient délivrez des travaux &amp; des périls de la vie en mourant.</p>
            <p>La coútume de brûler les Corps &amp; de les inhumer, estoit presque égale chez les Romains ; mais la premiere s’observoit le plus souvent pour les grands &amp; les Principaux ; &amp; la seconde pour la Populace. Macrobe en ses Saturnales remarque que celle de réduire les Corps en cendres a duré jusqu’au temps des Princes Chrétiens, c’est à dire sous l’Empereur Theodose le jeune, à sçavoir 408 ans de la Naissance du Sauveur. Toutefois les Funérailles de Poppée, comme nous avons dit, se firent avec grande pompe à Rome. C’est au liv. 7. chap. 7. &amp; Eusebe liv. 9. chap. 8.</p>
            <p>L’on trouve que Numa Pompilius, qui fut le second Roy de Rome, donna la charge de la Sépulture &amp; des Funérailles des Romains au Grand Pontife, &amp; qu’il fut luy-mesme inhumé prés de l’Autel de la Fontaine Egerie, qui estoit la Déesse qu’on dit qu’il consultoit la nuit sur le Gouvernement de Rome. La Lignée des Cornéliens fut inhumée jusqu’au temps de Sylla Dictateur, qui fut le premier dont on reduisit le Corps en cendres à Rome, quoy qu’il fust de la mesme Race.</p>
            <p>Le Corps du grand Pompée, qui fut vaincu en la guerre de Pharsale, &amp; qui dans sa retraite en Alexandrie fut perfidement tué par Photin &amp; Achillas, Satellites de Ptolemée, &amp; par son ordre, fut brulé sans honneur &amp; sans pompe sur le Rivage d’Alexandrie par un ancien Romain nommé Codrus, &amp; Cornelie son Epouse en alla recüeillir les cendres avec beaucoup de douleur &amp; d’amertume.</p>
            <p>Suetone, en la vie de Jules César, nous fait une peinture assez lugubre de la mort de cet Empereur ; car apres avoir esté assassiné dans le Senat, son Corps fut porté dans le Champ de Mars, pour y estre réduit en cendres, &amp; les cendres enfermées dans une Urne, comme c’estoit la coútume, &amp; de là estre portées dans le Monument qui devoit estre préparé. Mais la confusion fut si grande, que les Senateurs ne pûrent tenir aucun ordre en ses Funérailles ; jusque-là même que la Populace animée alla rompre les Bancs du Sénat, pour en apporter les débris au Bucher où le Corps alloit estre consumé.</p>
            <p>Virgile, livre 6. de l’Eneïde, nous fait une autre peinture de tout ce que l’on observoit en cette sorte de Funérailles, quand il fait la description de ce qui fut pratiqué en celles de Misenus, qui estoit un Trompette d’Enée, &amp; qui fut noyé. On luy dressa un grand Bucher, &amp; l’on mit autour des Cyprés liez de Bandelettes noires ou bleuës, avec les Armes dont le Défunt s’étoit servy en guerre. Apres que le Corps eut esté lavé &amp; oingt, on le mit dans un Lit, couvert de ses Vestemens de pourpre, &amp; il fut porté de cette maniere au Bucher. Selon la coutume des Anciens, on portoit en arriere des Flambeaux allumez, pour mettre le feu au Bucher.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">  subjectam more parentum</l>
                <l rend="i">Aversi tenuere facem.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Puis on jetta dans le mesme Bucher, de l’encens, de l’huile, des viandes, &amp; des odeurs suaves.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Thurea dona, dapes, fuso crateres olivo.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Le Corps estant consumé, on arrosoit les os &amp; les cendres de vin noir, comme dit Tibul. liv. 3. Elégie 2. &amp; on les enfermoit dans une Urne, pour estre mise au Tombeau.</p>
            <p>Le même Virgile, liv. 4. fait une ample &amp; magnifique représentation de tout ce qui fut observé aux Funérailles de Didon, Reyne de Carthage, qui s’estant donné elle-mesme la mort, monta sur le Bucher pour y expirer, y ayant fait porter les Vestemens précieux qu’Enée luy avoit laissez, pour y estre consumez avec elle.</p>
            <p>Voicy encore une autre marque spécieuse de ces Antiquitez. Cyrus, Roy des Médes &amp; des Perses, ayant vaincu Crésus Roy de Lydie, &amp; l’ayant réduit en l’état d’un misérable Esclave, ne le fit-il pas exposer sur un Bucher, sans aucuns ornemens Royaux, pour y estre brulé vif ? Ce fut alors que ce Roy se souvint des paroles que le Philosophe Solon luy avoit tant de fois repétées en son Palais mesme, <hi rend="i">Qu’aucun Mortel ne se peut estimer heureux avant la mort</hi>. Mais lors que ce Roy alloit estre réduit en cendres au milieu des flames, le Ciel, comme s’il eust esté touché du malheureux estat de ce Prince, permit qu’il s’élevast un si prompt orage, qu’il éteignit le feu de ce Bucher, &amp; Cyrus dont le cœur fut attendry, fit délivrer Crésus, qu’il renvoya en son Royaume dont il l’avoit dépoüillé. C’est ce qui est rapporté par Justin.</p>
            <p>Dans un ancien Tombeau, qui estoit celuy de Ciceron, plusieurs siécles apres que ses cendres y avoient esté ensevelies, on trouva deux Urnes, dont l’une estoit pleine des cendres de son Corps, &amp; c’estoit la plus grande ; &amp; dans la plus petite ce n’estoit que de l’eau, que l’on tient avoir esté les larmes de ses Amis qui avoient assisté à ses Funérailles. Ce Monument est dans l’Isle de Zante, autrefois Zacynthe, dans l’Etat des Venitiens, &amp; fut ouvert l’année 1544. aux Calendes de Decembre, comme le remarque le Livre en Figures des Monumens des Personnages illustres, imprimé à Utrech. Ces mots sont gravez sur son Sepulcre, <hi rend="i">M. Tulli Cicero, have, &amp; tu Teptia Antonia</hi>.</p>
            <p>Mais voicy une remarque digne de consideration, sur la reduction des Corps des Roys des Indes en cendres. Les anciens Roys de ces Regions faisoient cüeillir une espece de lin qui resiste au feu, &amp; que l’on appelle <hi rend="i">Incombustible</hi>, &amp; l’on s’en servoit à faire des Suaires. Ces Suaires estoient d’un prix inestimable, &amp; n’estoient employez que pour les Testes couronnées. Ce Lin se nommoit <hi rend="i">Linum asbestinum</hi>, Lin inextinguible. Solin en parle ; &amp; Pline liv. 19. chap. 1. dit qu’il ne croissoit que dans les Deserts, en des lieux extrémement chauds, &amp; où les Serpens frequentent ; ainsi c’estoit la difficulté de le trouver, &amp; d’en cüeillir. On couchoit les Corps de ces Princes dans des Toiles faites de ce Lin, &amp; on les en envelopoit, de sorte que les cendres du Bucher ne se pouvoient mesler avec celles des Corps ; &amp; comme ces Suaires ne se consumoient point dans le feu, au contraire ils en sortoient plus purs, il estoit facile d’en tirer les cendres &amp; les ossemens pour les mettre en des Urnes d’or ou d’autre metal precieux, pour estre ensuite portées dans les Mausolées de ces Princes.</p>
            <p>On donne la mesme vertu à la Pierre <hi rend="i">Amianthos</hi>, dont on tire une espece de Coton apres l’avoir batuë &amp; froissée ; &amp; on s’en sert pareillement pour faire des Suaires, &amp; des lumignons de Lampes, dont le coton ne se consume point au feu.</p>
            <p>Sur cette antiquité de bruler les Corps, on remarque plusieurs choses ; &amp; il en arriva une étonnante dans le Bucher d’Etheocle &amp; de Polynice, Freres &amp; Fils d’OEdipe. Ces deux Princes eurent guerre ensemble pour la Couronne de Thebes. Etheocle, comme aîné, devoit regner la premiere année, &amp; Polynice la seconde ; mais le plaisir de regner sembla si doux à cet Aîné, qu’il ne voulut pas que son Frere regnast à son tour. C’est de là que s’éleva cette sanglante guerre entre les Thebains &amp; les Grecs, car Polynice avoit épousé Argie, Fille d’Adraste Roy d’Argos.</p>
            <p>Cette guerre fut si funeste ; que tous les Princes Grecs furent tuez dans la Bataille, à l’exception d’Adraste ; &amp; comme elle ne se pouvoit terminer, Etheocle &amp; Polynice furent contraints d’en venir aux mains l’un contre l’autre, &amp; se tuerent tous deux, leur haine n’ayant pû s’appaiser par les larmes de Jocaste leur Mere, non plus que par celles d’Antigone &amp; d’Ismene leurs Sœurs. On leur prepara un Bucher commun pour reduire leurs Corps en cendres, à la veuë de Thebes &amp; des deux Armées ; mais tous les Assistans furent surpris de voir la flame se separer en deux, pour marquer que la haine de ces deux Princes duroit encore apres leur mort. C’est ce qui a fait triompher sur le Theatre ces sçavantes Plumes qui ont donné la <hi rend="i">Thebaïde</hi>, l’<hi rend="i">Antigone</hi>, l’<hi rend="i">OEdipe</hi>, &amp; les <hi rend="i">Freres Ennemis</hi>.</p>
            <p>On jettoit aussi dans le Bucher ce que le Défunt avoit chery le plus, ou ce qu’il avoit de plus precieux ; comme on le voit aux Funérailles de Patrocle, liv. 17. de l’Iliade d’Homere, car on precipita dans le feu quatre de ses plus beaux Chevaux, avec douze des plus nobles Troyens égorgez pour Victimes.</p>
            <p>Cette barbare manie d’égorger des Hommes aux Funerailles des Roys, des Princes, ou des principaux Chefs d’Armée tuez en guerre, estoit usitée chez les Grecs &amp; chez les Troyens. C’étoit quelquefois de braves Capitaines, ou d’autres Prisonniers de guerre, qu’on immoloit de cette sorte aux Manes de ces Princes. C’est ce que represente Virgile liv. <hi rend="sc">xi</hi>. de l’Eneïde, aux Funerailles du jeune Prince Pallas, Fils d’Evandre Roy du Latium.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Vinxerat &amp; post terga manus, quos mitteret umbris</l>
                <l rend="i">Inferias, cæso sparsuros sanguine flammas.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>On jettoit non seulement ces Victimes dans le Bucher, mais mesme les Armes dont le Mort avoit pû dépoüiller ses Ennemis. On y ajoûtoit les Vestemens les plus riches &amp; les plus somptueux ; comme Enée fit en celuy-cy, ayant vestu le Corps de Pallas d’un habit de pourpre enrichy d’or, &amp; l’ayant couvert d’un autre sur le Bucher. Ces Vestemens estoient ceux mesmes qui avoient esté faits des mains de la Reyne Didon, &amp; qu’il avoit emportez avec luy, quand il l’abandonna pour venir de Carthage en Italie. Outre cela, une Toile pretieuse estoit encore l’ouvrage de cette Reyne, pour ensevelir le Corps de ce Prince.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Tum geminas vestes, ostróque auróque rigentes,</l>
                <l rend="i">Extulit Æneas, quas illi læta laborum</l>
                <l rend="i">Ipsa suis quondam manihus Sidonia Dido</l>
                <l rend="i">Fecerat, &amp; tenui telas discreverat auro.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>De plus, on portoit les Trophées d’Armes, &amp; tout le riche Butin que le Défunt pouvoit avoir fait sur l’Ennemy, avec les noms des Nations qu’il avoit prises ; &amp; mesme on portoit les Armes renversées, comme dit Stace liv. 6. de sa Thebaïde. C’est ce qu’on observe encore aux Funerailles de nos illustres Guerriers, en les couvrant de Crespe. Virgile au mesme liv.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Indutôsque jubet truncos hostilibus armis</l>
                <l rend="i">Ipsos ferre duces, inimicáque nomina figi.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Cette pompe estant achevée, on disoit le dernier adieu aux Manes du Défunt, ce qui se repétoit trois fois ; &amp; ce que l’on observe encore aujourd’huy aux Funerailles des Roys &amp; des Reynes.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Salve æternum, mi maxime Palla,</l>
                <l rend="i">Æternúmque vale.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>L’année estant expirée, les Parens &amp; les Amis venoient offrir leurs Presens sur des Autels dressez prés du Sepulchre, &amp; les Enfans honoroient les Manes de leurs Peres comme des Divinitez, &amp; les tenoient pour tels, comme dit Plutarque en ses Questions Romaines, &amp; Cornelius Nepos en l’Oraison de Cornelie aux Graques.</p>
            <p>Theophraste dit, que souvent au lieu de mettre le Corps au milieu du Bucher, on le mettoit dans une Pierre circulaire &amp; creuse, pour en conserver les cendres sans aucun meslange de celles du bois ; mais cette circonstance ne change point la coûtume ny la nature de la chose.</p>
            <p>On n’égorgeoit aucuns Prisonniers de guerre, ou Esclaves, aux Funerailles des Princes ou des Chefs qui estoient morts chez eux ; comme l’on voit en la mort de Didon, dont on vient de parler.</p>
            <p>Pour ce qui est des devoirs que les Anciens rendoient apres la mort, c’estoit que ceux de la Famille du Défunt, se rasoient la teste, &amp; jettoient leurs cheveux dans le Bucher avec le Corps, ou les mettoient dans le Sepulcre avec le mesme. On menoit ensuite un grand deüil. On répandoit aussi des larmes dans les mesmes Tombeaux. C’est ce que remarque Homere, liv. 4. de son Odyssée ; &amp; Eurypide en son Iphigenie. Cet office de pleurs continuoit trois jours avant les derniers devoirs que l’on rendoit aux Défunts, comme témoigne Apollonius, livre 2. des Argonautes.</p>
            <p>Nous voyons de plus, que pour augmenter le deüil on loüoit des Femmes à prix d’argent, qu’on appelloit <hi rend="i">Pleureuses</hi>, (<hi rend="i">Præficæ</hi>.) C’est ce que dit Virgile, liv. 3. de l’Eneïde, aux Funerailles de Polydore, que la Reyne Hecube luy fait faire apres avoir esté tué en Thrace par Polymnestor son Oncle, qui vouloit usurper les richesses qui luy avoient esté données en dépost durant la guerre de Troye ; &amp; les Troyens appelloient ces Pleureuses <hi rend="i">Iliades</hi>, du mot Grec d’Homere. Elles avoient les cheveux épars, &amp; jettoient de longs soûpirs, en s’arrachant les cheveux &amp; le visage avec les ongles.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Et circùm Iliades crinem de more solutæ.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>On prenoit aussi des Hommes à gage pour le mesme effet, &amp; qui en faisoient autant que ces Pleureuses ; mais cette coûtume fut défenduë aux Egyptiens par Moïse, comme il est marqué au Levitique, 19. &amp; au Deuteronome, 14. Solon la défendit aux Atheniens. La mesme fut défenduë aux Juifs, &amp; les Decemvirs la défendirent aux Romains. On se servoit aussi aux Funerailles, d’Instrumens lugubres, comme de Flutes, de Hautbois, &amp; de Tambours.</p>
            <p>Cette coutume de loüer des Pleureux &amp; des Pleureuses, a esté fort usitée chez les Romains, &amp; a duré long-temps. Il en a passé mesme un certain usage jusque dans nostre siécle, que l’on prenoit à prix d’argent des Hommes qu’on revestoit de grandes Robes noires traînantes douze ou quinze pieds derriere, ayant en la teste de longs Capuçons en forme de tuyau pendans sur le visage. Ce sont ceux qu’on employoit aux Funérailles des Personnes de qualité, quelquefois au nombre de douze ou vingt en deux rangs, &amp; quelquefois plus, avec un autre qui marchoit seul au milieu sur le derriere, traînant une plus longue queuë que les autres. Ce sont ces Hommes que l’on appelloit <hi rend="i">Babeloux</hi> ; mais à la fin cette coutume s’est éteinte.</p>
            <p>Tertullien au liv. 13. de la Resurrection, tire la coûtume de bruler les Corps, de l’exemple du Phénix, qui se prépare un Buscher de bois aromatique, d’Encens, de Baume, &amp; d’autres odeurs suaves, &amp; se donne la mort luy mesme, pour s’y consumer ensuite, ressusciter &amp; se rajeunir ; les Hommes, dit-il, devant un jour renaistre &amp; revivre comme cét Oyseau. Lactance parle ainsi du Phenix à la fin de ses Ouvrages.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Construit inde sibi seu nidum sive sepulcrum ;</l>
                <l rend="i"> Nam perit ut vivat, se tamen ipsa creat.</l>
                <l rend="i">Colligit hinc succos, &amp; odores divite sylvâ,</l>
                <l rend="i"> Quos legis Assyrius, quos opulentus Arabs.</l>
                <l rend="i">Tunc inter varios animam commendat odores,</l>
                <l rend="i"> Depositi tanti nec timet illa fidem.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Aprés avoir mis les cendres dans le Sepulchre, on y mettoit les marques de la Profession, fussent Hommes de Guerre, ou qui eussent excellé en quelque Art ; comme dit Homére d’Elpenor en son Odyssée, qui receut d’Ulisse en son Tombeau un Aviron en espece de trophée, pour avoir esté Homme de cœur, &amp; avoir servy ce Roy sur Mer. Autant en dit Virgile liv. 6. en faveur de Misénus, à qui Enée fait dresser un Monument sur une Montagne, qui depuis a porté le nom de Miséne, où il luy donna une Trompette &amp; une Rame, pour marquer qu’il avoit esté de son temps excellent Trompette &amp; Rameur.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Ingenti mole sepulcrum</l>
                <l rend="i">Imponit, suaque arma viro, remumque tubámque.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Archimede qui avoit une parfaite connoissance de la Geometrie &amp; de la Sphere, comme dit Ciceron, au liv. 5. de ses Tusculanes, obtint de ses Amis d’avoir sur sa Sepulture, pour marque de sa profonde science, une Sphere avec un Cylindre &amp; un Compas. C’est ce que Plutarque confirme aussi en la vie de Marcellius.</p>
            <p>On tient pour asseuré que les Romains ont appris des Juifs &amp; des Chrétiens à ne plus bruler les corps, comme ils avoient fait long-temps auparavant. C’est Eusebe qui le dit au Passage cité.</p>
            <p>Quand on faisoit les Obséques pour ceux qui estoient morts en des Pays étrangers, on leur dressoit des Tombeaux au lieu d’Autels, au pied desquels on leur presentoit du Vin &amp; du sang des Victimes, &amp; quelquefois du Vin mêlé avec le sang, &amp; on invitoit leurs Manes pour en venir boire. C’est ce que fait Andromaque Femme d’Hector, qui avoit esté tué par Achille à Troye. Elle qui estoit alors remariée à Helenus, qui regnoit en Epire, ne fait que les simples solemnitez que l’on rend aux Morts dont on est beaucoup éloigné.</p>
            <p>Les coutumes d’inhumer ou de bruler les corps estoient differentes chez diverses Nations, &amp; cela se pratiquoit en des lieux éloignez des Villes. A Athenes on portoit les Corps hors la Porte sacrée ; &amp; la mesme Loy qui estoit observée chez les Athéniens, l’estoit aussi chez les Sicyoniens, comme rapporte Plutarque en la vie d’Aratus.</p>
            <p>Les Habitans de l’Isle de Delos estoient encore plus religieux en cela, &amp; leur superstition estoit telle, qu’ils tenoient que la Déesse Latone ayant accouché d’Apollon &amp; de Diane en cette Isle, il n’estoit alors licite qu’aucun mortel y fust inhumé, ny qu’on y souffrist aucune Sepulture. Aussi faisoit-on porter les Corps des Défunts en des Isles voisines pour y estre ensevelis, tant la superstition avoit de pouvoir sur l’esprit de ces Peuples.</p>
            <p>Les Nosamons Peuples de la Lybie, ayoient tant de veneration pour les Sepulchres, &amp; pour ceux qui y estoient, que quand il falloit jurer pour quelque chose de douteux, ils mettoient la main sur ces Monumens, &amp; faisoient leur Serment ; ou s’il y avoit quelque chose à deviner, ils se retiroient vers la nuit aux Tombeaux de leurs Ancestres, &amp; s’y estant endormis, comme dit Tertullien au liv. de l’Ame chap. 57. ils tenoient pour un Oracle divin le Songe qu’ils y avoient eu en dormant.</p>
            <p>Les Celtes anciens Habitans d’une partie des Gaules, &amp; proches voisins de l’Espagne, n’en faisoient pas moins, &amp; se retiroient prés des Tombeaux pour y passer la nuit, &amp; estre certains de ce dont ils estoient en doute ; se persuadant que les esprits des Défunts qui y residoient, les viendroient tirer de perplexité.</p>
            <p>Les Augiles habitans d’autour de Cyrene, consultoient les Manes des Morts de cette maniere. Ils se couchoient sur les Sepulchres, &amp; aprés y avoir fait leurs prieres, &amp; s’y estre endormis, ils tenoient pour réponses les visions ou les songes qu’ils y avoient eus.</p>
            <p>Les Athéniens &amp; les Megariens ensevelissoient les corps de diverse maniere, &amp; ordinairement les faisoient porter en l’Isle de Salamine pour les y inhumer. Mais ces deux Peuples estant tombez en dispute pour la proprieté de cette Isle, le sujet en fut rapporté à Solon, qui n’en pût regler la possession que par la pluralité des Corps enterrez, disant que les Athéniens enterroient les cadavres des leurs le visage tourné vers l’Occident, &amp; les Mégariens vers l’Orient, &amp; que le plus grand nombre devoit l’emporter. Les Mégariens au contraire répondirent que leur coûtume estoit de mettre deux, trois &amp; quatre Corps ensemble en un mesme Tombeau. Mais Diogéne Laertius dit tout autrement, &amp; que les Athéniens enterroient les corps la face tournée vers l’Orient, &amp; les Mégariens vers l’Occident, &amp; qu’il s’en falloit rapporter à ce que Thucydide en avoit écrit pour résoudre la question.</p>
            <p>Les Cariens avoient une méthode particuliere d’ensevelir les Corps de leurs Compatriotes, en laquelle ils ne se pouvoient tromper, si on en venoit à la dispute, car chacun affectionnoit ceux de son Pays, &amp; avoit sa coutume particuliere.</p>
            <p>On trouve aussi que chez les Perses, chez les Grecs, &amp; chez d’autres Nations, les Capitaines aprés le Combat, prenoient soin de renvoyer les Corps de leurs Ennemis tuez dans la bataille pour leur donner la Sepulture. C’est ce que fit Pausanias chez les Grecs envers ceux des Perses, qui estoient demeurez sur la place, quoy que Mardonius leur Capitaine n’eust pas rendu la pareille aux corps des Grecs qui avoient esté tuez dans le combat.</p>
            <p>Autant en fit Philippe, Pere d’Alexandre le Grand, envers les Grecs, qui avoient esté vaincus prés de Cheronée, aux corps desquels il rendit les honneurs funébres, &amp; les renvoya à Athénes.</p>
            <p>Alexandre le Grand se comporta de la mesme maniere que son Pere envers les Soldats de Darius, &amp; envers la Mere de ce Roy, à laquelle il permit de rendre les derniers devoirs à ceux à qui elle voudroit selon la coutume des Perses, ainsi qu’il les rendit luy mesme à Sisygambis Mere de Darius aprés sa mort.</p>
            <p>Homére Iliade 2. dit la mesme chose des Grecs ; car Nestor persuade aux Chefs de faire recherche des cadavres des leurs, pour les bruler &amp; en ensevelir les cendres dans un mesme Tombeau : ce qui fut aussi la coutume des Troyens, aussi bien que des Athéniens, de rapporter les ossemens de leurs Morts en leur Patrie, comme dit Thucydide liv. 2. &amp; mesme on dressoit des Monumens communs aux Soldats qui avoient perdu la vie au sujet de leur Pays ; où l’on ecrivoit leurs noms &amp; la Tribu dont ils estoient.</p>
            <p>Les Romains observoient encore la Loy des XII. Tables ; par laquelle il estoit permis d’aller chercher les corps des Soldats tuez, pour les rapporter chez eux, afin d’y estre ensevelis ou brulez, comme remarque Appian liv. 1. des Guerres civiles.</p>
            <p>Olaus Magnus Archevesque d’Upsal liv. 6. Chap. 45. de la Violation des Sepulchres, rapporte diverses Observations, entr’autres, qu’Hannibal ayant vaincu Marcellus, il en fit orner le corps avec beaucoup de magnificence, avant que de le reduire en cendres ; puis il envoya ces mesmes cendres à son Fils, dans une Urne d’argent, y ayant fait ajoûter une Couronne d’or, pour avoir remarqué une genérosité merveilleuse en ce grand Capitaine. Par là on voit que les Carthaginois reduisoient en cendres les corps aprés leur mort.</p>
            <p>Mais Sylla agit bien d’une autre maniere envers le Corps de Marius, dit le mesme Olaus, car aprés une cruauté épouvantable, il ne se contenta pas d’insulter ceux qu’il avoit vaincus, mais il en fit arracher les os des Tombeaux &amp; les jetter en la Mer. Ce fut avec la mesme barbarie qu’il traita le corps de ce grand Personnage, qui s’estoit signalé en tant de batailles par ses faits héroïques. Mais luy mesme, comme dit Plutarque, craignant de servir de joüet à ses Ennemis aprés sa mort, il ordonna par son Testament que son corps fust brulé, si tost qu’il auroit rendu l’ame. Ce fut le premier des Romains dont le corps ait entré dans le bucher.</p>
            <p>Antoine se comporta avec beaucoup de clemence envers Brutus ; car aprés avoir remporté la victoire sur luy, il en fit envelopper le corps dans une Cotte d’armes de pourpre, &amp; aprés l’avoir fait consumer dans le feu, il prit soin d’en envoyer les cendres à Servilie sa Mere &amp; à Porcie son Epouse.</p>
            <p>Solon entre ses belles Loix, y en comprend une, par laquelle il estoit défendu de faire aucune injure aux Tombeaux, aux corps ou aux cendres, que l’on y avoit enfermées, disant que c’estoit un crime qui ne se pouvoit aucunement expier.</p>
            <p>Alexandre le Grand, aprés avoir vaincu Darius, s’en vint en Perse, où il fit mettre à mort un Genéral d’Armée, pour avoir osé ouvrir le Tombeau de Cyrus ; ayant esté touché de beaucoup de ressentiment de ce qu’il avoit leu en une Epigramme Grecque, qui estoit sur le Monument de ce Roy, &amp; qui en expliquoit les actions &amp; la fortune, voulant punir le crime de ce Genéral, &amp; vanger les Manes du Défunt.</p>
            <p>Pyrrhus Roy d’Epire ne vangea-t-il pas avec beaucoup de justice la mort d’un Voyageur, qu’il trouva tué dans une Campagne &amp; sans sepulture, le Cadavre en estant gardé depuis trois jours par un Chien, hurlant incessamment &amp; sans manger. Ce Roy fit donner d’abord la Sepulture au corps, &amp; ayant amené ce Chien en son Camp, cét animal ayant reconnu les Autheurs du meurtre se jetta sur eux, &amp; les déchiroit. Pyrrhus averty de cela les fit prendre &amp; punir du supplice qu’ils meritoient.</p>
            <p>On voit donc, pour revenir au principe de la Sepulture, que ce droit ne peut estre refusé à qui que ce soit sans une extréme barbarie, &amp; sans mesme en excepter les Ennemis. Les Philistins permirent aux Parens de Samson d’enlever son Corps, &amp; de luy donner la Sepulture. Les Habitans de Jabes de Galaad furent loüez beaucoup, pour avoir au peril de leur vie enlevé le Corps de Saul &amp; de Jonathan, pour les porter dans les Tombeaux des Roys leurs Ancestres.</p>
            <p>Tobie se faisoit un devoir de pieté d’ensevelir les Corps, &amp; les retiroit mesme chez luy, quittant le plus souvent son repas pour les mettre dans la Sepulture, &amp; instruisant son Fils à ce mesme devoir.</p>
            <p>Les Corps mesme de ceux qui avoient esté crucifiez, devoient estre inhumez avant le coucher du Soleil. L’Ecriture en l’Ecclesiaste 6. 3. Jéremie 36. 30. avec le chap. 22. 19. &amp; 2. Roys 9. 10. envisage le defaut de Sepulture comme une peine &amp; comme une malediction ; &amp; là-mesme exagere l’inhumanité des Chaldéens, en ce qu’aprés la prise de Jerusalem, ils n’accorderent pas la Sepulture à ceux qu’ils avoient massacrez. Et Josephe liv. 4. chap. 14. déplore la misere de ceux de la mesme Ville, d’estre privez de la Sepulture, &amp; d’estre exposez aux Corbeaux &amp; aux Bestes sauvages. Les Payens mesmes qui consideroient le droit de Sepulture, comme un droit &amp; une loy de la nature, disoient que l’empescher estoit une barbarie &amp; une fureur.</p>
            <p>La Fable ne nous dit-elle pas que l’on souhaitoit passionnément que les Corps fussent inhumez, puis que les Ombres ou les Manes des Défunts n’estoient pas receus, pour aller aux Champs Elisees, à moins qu’ils n’eussent erré cent années le long des rives du Styx, avant que de le passer dans la Barque de Charon ? Encore falloit-il porter l’argent pour le passage, qu’on mettoit en la bouche du Mort, &amp; qu’on appelloit <hi rend="i">Naulus</hi>, comme dit Lucien en ses Dialogues des Morts, &amp; Virgile liv. 6. de l’Eneïde.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Hæc omnis quam cernis inops, inhumatáque turba est ;</l>
                <l rend="i">Portitor ille Charon ; hi quos vehit unda, sepulti.</l>
                <l>Et le mesme Virgile ailleurs ;</l>
                <l rend="i">Nudus in ignotâ Palinure jacebis arenâ.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>C’estoit la coutume de souhaiter que la Terre ou le Sable fust leger, qu’on mettoit sur les Corps des Défunts ; quoy que Martial s’en raille en l’Epigramme 30. du liv. 9.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Sit tibi terra levis, mollique tegaris arenâ,</l>
                <l rend="i">Ne tua non possint eruere ossa canes.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>L’on remarque encore que ceux qui entreprenoient des Voyages par Mer, avoient coutume dés leur embarquement de pendre à leur col quelque piece d’or ou d’argent pour le prix de leur Sepulture, dans la crainte de n’estre pas inhumez s’ils faisoient naufrage, comme dit Properce liv. 3. Eleg. 5. Homere Iliade 8. remarque la mesme chose. Aussi estoit-ce un grand malheur que l’on souhaitoit à une personne, &amp; c’est l’imprecation que Thyeste fait à Atrée.</p>
            <p>On privoit de la Sepulture les Corps des Parricides, comme n’y ayant point de punition plus rigoureuse que de n’en pas joüir. Chez les anciens Romains &amp; chez les Gaulois on les cousoit nuds dans des Sacs de cuir avec un Aspic, un Chien &amp; un Coq. D’autres y ajoûtent un Renard, pour estre ensuite précipitez à Rome du Tibre dans la Mer, &amp; dans le Rhosne chez les Gaulois, comme s’ils n’estoient pas dignes de toucher la Terre.</p>
            <p>C’estoit la coutume en la Loy de Moyse, d’inhumer les instrumens avec lesquels les Malfaicteurs avoient esté punis de mort, soit le Bois, les Pierres, le Glaive, le Cordeau, ou quelque autre instrumens que ce fust, afin qu’il n’en restast plus aucune marque, comme rapporte Rabbi Moses d’Egypte, pour preuve de la coutume des Juifs.</p>
            <p>Le desir &amp; l’affection d’estre ensevely avec ses Peres &amp; ses Ancestres est encore une chose si naturelle, qu’on l’exprime dans le Livre des Roys en diverses manieres. En voila quelques-unes. <hi rend="i">Il s’est-rassemblé avec ses Peres</hi>. Ou <hi rend="i">il est retourné à son Peuple</hi>. Ou <hi rend="i">il a dormy avec ses Peres</hi>.</p>
            <p>L’exemple de Bersellaus est d’une grande authorité pour marquer ce desir ; car comme il est dit au 2 des Roys chapit. 19. quoy qu’il fust estimé intime amy de David, apres la mort d’Absalon son Fils, à la poursuite duquel il avoit esté envoyé, il ne pût estre retenu dans le Palais de ce Roy, ny pour le repos, la seureté, les honneurs, ny pour les richesses, ou les autres plaisirs que David luy offroit ; mais estimant que la Sepulture de ses Peres estoit à préferer à tout cela, il ne fit point d’autre réponse au Roy que celle-cy. <hi rend="i">Je n’ay aucun besoin de toutes ces choses ; mais seulement que je retourne en ma Cité, &amp; que j’y meure, pour estre ensevely prés du Tombeau de mon Pere</hi>. David fut obligé de le laisser aller avec beaucoup de regret de sa Personne.</p>
            <p>La mesme chose arriva à ceux de Jerusalem, quand sous l’Empereur Titus cette Ville eut esté mise à feu &amp; à sang : car la plus-part trouvoient la mort plus douce &amp; plus agréable dans leur Pays natal, esperant joüir du Tombeau de leurs Peres, que de se sauver ailleurs, comme chez les Romains, comme ils pouvoient facilement le faire. C’est ce que Josephe liv. 5. chap. 2. de la Guerre des Juifs, &amp; Hegesippe remarquent. Cette affection naturelle se voit en l’Epitaphe de Leonidas de Tarente. <hi rend="i">Procul ab Itala jaceo terra, atque Tarento Patria, hoc verò mihi acerbius morte</hi>.</p>
            <p>Les Grecs &amp; plusieurs autres Nations ne recevoient pas les Corps de leurs Ennemis dans leurs Tombeaux. Sophocle le rapporte en la vie d’Ajax, où Teucer son Ennemy prie fort Ulisse qu’il ne mesle pas ses cendres avec celles d’Ajax, à cause de leurs anciennes inimitiez : car ils tenoient que leur haine duroit aprés la mort, comme on a veu cy devant au Bucher d’Etheocle &amp; de Polynice.</p>
            <p>Selon l’ancienne coutume des Hebreux, comme disent Rabbi Jacob, &amp; Rabbi Moses, dans les Funerailles les Hommes prenoient soin des Hommes, &amp; les Femmes des Femmes. Le Fils ou le présomptif héritier fermoit la bouche &amp; les yeux à son Pere ou à son Parent, &amp; recevoit son dernier soupir. On coupoit les cheveux aux Défunts, on leur lavoit le Corps ; on les oignoit &amp; on les parfumoit d’odeurs. On les envelopoit de linceuls &amp; on les serroit de bandes, &amp; en cét état ils estoient portez au Sepulchre. La mesme coutume a passé chez les Grecs, chez les Juifs, &amp; postérieurement chez les Romains. C’est d’où Ennius dit du Roy Tarquin.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Tarquinii corpus bona fæmina lavit &amp; unxit.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Les Tyriens &amp; les Sidoniens se servoient de Pourpre au lieu de linceuls. C’est pourquoy ordinairement on appelloit les Suaires <hi rend="i">Sindones</hi>, ou <hi rend="i">Sidones</hi>, du nom de la Ville de Sidon, &amp; de la Pourpre qui y estoit en usage.</p>
            <p>Comme les Gentils vestoient le plus souvent les Corps des Défunts, pour les porter au Bucher, couchez sur des lits somptueux, &amp; préparez, ou dans le Sepulchre ; où celuy qui avoit le plus grand nombre de lits estoit estimé le plus magnifique, comme il arriva au Corps de Sylla qui en avoit 60, les Romains &amp; aprés eux les Chrétiens prirent la mesme coutume d’ensevelir les Corps avec leurs vestemens. Bosius en parle amplement, &amp; mesme à l’égard des Martyrs, puis qu’à Rome on a trouvé le Corps de Sainte Cecile, avec ses habits enrichis d’or, long-temps aprés son Martyre.</p>
            <p>Saint Chrysostome reprend cette pompe &amp; cette dépense excessive dans les Funerailles, à moins que ce ne soit pour les Pontifes, les Empereurs, les Roys &amp; les Princes, ou du moins pour des Personnes illustres de l’un &amp; de l’autre Sexe.</p>
            <p>Cette coutume d’inhumer les Corps avec leurs vestemens Pontificaux dans le Sacerdoce, a esté toutefois observée dans l’ancienne Loy, comme on le remarque dans le Levitique chap. 10. parlant de Nadab &amp; d’Abiu, qui faisoient la fonction du Sacerdoce, comme de Lyra l’a expliqué. La mesme coutume s’observe aussi en la nouvelle, puis qu’on laisse aux Evesques, outre leurs vestemens Pontificaux, leur Anneau Episcopal. C’est ce qui se voit dans les Actes d’Arnulphe Evesque de Soissons ; car comme Everulphe son Frere avoit oublié à luy mettre son Anneau Episcopal au doigt, ayant disposé le Corps dans l’état qu’il devoit estre porté à la Sepulture, il se souvint de cét Anneau, &amp; par une merveille surprenante, la main du Mort, quoy que les doigts en la fussent rétrecis &amp; resserrez vers paulme, s’estendit &amp; presenta le doigt annulaire, &amp; ayant receu l’Anneau, par la mesme merveille, se resserra comme elle estoit auparavant. Cela arriva aux yeux de tous ceux qui estoient au Convoy.</p>
            <p>Les Egyptiens, les Hebreux, &amp; ensuite les Juifs &amp; les Romains, se servoient de Toile de Lin, qui quelquefois pour ornement avoit des filets d’or, ou de couleur de pourpre &amp; d’azur aux extrémitez, pour ensevelir les Corps. Nous en avons rapporté des exemples au Corps du jeune Prince Pallas.</p>
            <p>Nous dirons que les Juifs ont esté toujours curieux de faire mettre les Corps de leurs Défunts en des terres neuves, &amp; de n’inhumer pas plusieurs Corps ensemble, &amp; presentement ils ont encore la mesme Religion &amp; coutume, qu’ils n’ont point changée ; ils ajoutent de petits Sacs remplis d’odeurs sous la teste du Mort en les portant au Tombeau.</p>
            <p>Mais nous voila venus à un Suaire le plus prétieux de tout le monde, qui se garde encore en la Ville de Turin en Savoye. C’est celuy où le Corps sacré du Sauveur fut estendu &amp; ensevely aprés sa mort, &amp; mis dans le Saint Sepulchre. On y voit l’étenduë du Saint Corps imprimée avec les Stigmates de ses Playes. Il est en grande venération en cette Ville-là, &amp; à certaines Festes de l’année on l’expose à la veuë du Peuple, qui y vient de toutes les parties de la Savoye &amp; du Piedmont, comme aussi de plusieurs autres Provinces. Il estoit auparavant en la Ville de Chamberry, en la Chapelle du Château, lors que par accident le feu ayant pris en ce lieu l’an 1632. le 4. de Decembre, tout y fut consumé par les flames, &amp; que les Barreaux &amp; les Grilles de Fer ne purent résister à la violence du feu. La Chasse mesme d’argent où estoit le Sacré Tresor, fut fonduë, &amp; le bois brulé ; mais Dieu permit que ce sacré Linceul ne receust aucune atteinte ny dommage, &amp; que l’Image du Sauveur formée de son précieux Sang, &amp; qui est imprimée au milieu du Suaire demeurast en son entier. Philibertus Pingonius de Savoye témoin oculaire, Alphonsus Paleotus Archevesque de Boulogne ; Daniel Mallonius Théologien Dominicain, l’Evesque de Vultubia, Chifletius &amp; Simon Majole, rapportent ce grand Miracle, en leurs Livres Latins.</p>
            <p>Les Juifs ont emprunté des Egyptiens la coûtume d’oindre les Corps, &amp; de les parfumer d’aromats &amp; de bonnes odeurs, comme la Genese le dit chap. 50. En la sepulture des anciens Patriarches ; &amp; dans l’Eglise naissante cette coûtume s’est observée à l’égard des Martyrs &amp; d’autres, comme les Actes 8. des Apostres le remarquent, &amp; Baronius en ses Annales tom. 1. an. 69. mais Clement Alexandrin liv. 1. fait voir que l’excés de ces parfums &amp; de ces onctions a esté blâmé chez les Chrestiens, &amp; principalement du temps des premiers, parce que les derniers ont beaucoup retranché de la coútume des Hebreux, des Egyptiens &amp; des Juifs. Ceux qui s’employoient au Ministere de ces Onctions, s’appelloient <hi rend="i">Pollinctores</hi>.</p>
            <p>Cette mesme coûtume est reprise par les Loix des XII. Tables chez les Romains, aussi-bien que la coutume de boire en la sepulture des Morts, &amp; sur tout en inhumant les Esclaves. Elle le dit en ces paroles, <hi rend="i">Uti servilis unctura, omnisque compotatio tollatur</hi>.</p>
            <p>Cette même Loy a voulu qu’on retranchast aussi cette magnificence excessive, ces parfums precieux, &amp; ces liqueurs de Myrrhe, aux Funerailles des Personnes libres, <hi rend="i">ne sumptuosi nimirum respersio fieret, neque myrrhata potio mortuo inderetur</hi>. Car comme en inhumant ou en brulant les Corps, on observoit cette coutume de mettre dans les Tombeaux, ou de jetter dans le Bucher ces bonnes odeurs, on en voit par tout des exemples, tant dans les Sacrez que dans les Profanes. Homere en son Iliade 6. Virgile liv. 6. de l’Eneïde.</p>
            <p>Lucien au chapitre du <hi rend="i">Deüil</hi>, discours 120. parlant de Stobée, fait mention de cette coutume. Apulée en son Traité de la <hi rend="i">Sepulture</hi> ; &amp; Perse, satyre 3. se raille d’un Heritier offensé de ne trouver pas une ample succession, &amp; dit ainsi,</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">  urnæ</l>
                <l rend="i">Ossa inodora dabit.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Nicephore, liv. 10. chap. 46. dit qu’outre les onctions on employoit le miel, soit qu’il ait quelque qualité particuliere pour empescher la corruption, ou la mauvaise odeur. Maffée, en ses Narrations historiques, raporte qu’on se servoit de chaux dans les Indes, au lieu d’aromats, &amp; que cette chaux a une vertu toute contraire à celle des autres Regions, car elle preserve les Corps de la putréfaction, &amp; ailleurs elle les consume en mesme temps. Le mesme Autheur dit que la chaux s’employe en la Sepulture des Corps dans le Païs de Coromandel.</p>
            <p>Tursellin rapporte aussi, que la coutume des Chinois est de vêtir les Corps de leurs habits, &amp; d’y mettre de la chaux dans le Cercueil ; que ce soin y est donné aux Pontifes &amp; aux Prestres de leur Loy, &amp; souvent aux Personnes de pieté ; &amp; que la plûpart des Corps y estoient ensevelis debout, le visage tourné vers l’Orient, ainsi qu’on faisoit à Rome aux Vestales, qu’on enfoüissoit toutes vives debout, pour avoir laissé éteindre le Feu sacré.</p>
            <p>Corippus l’Africain, décrivant la Pompe &amp; les Funerailles de l’Empereur Justinien, rapporte la diversité d’Onctions &amp; d’Odeurs aromatiques qui y furent employées.</p>
            <p>Pour ce qui est des Chrestiens, on lavoit leurs Corps apres leur mort. Saint Luc raconte dans le chap. 7. des Actes des Apostres, que l’on en usa ainsi envers Tabitha. Denis Evesque d’Alexandrie, dans Eusebe liv. 7. chap. 22. rapporte la même coutume. Gregoire de Tours, en son histoire chap. 104. de la gloire des Confesseurs, apprend que cette coutume s’observoit en France de son temps, c’est à dire, dans le sixiéme siécle ; on en voit des exemples dans la vie de Gregoire I, dans les Dialogues, &amp; dans l’Homelie 38. sur les Evangiles. Apres qu’on avoit lavé le Corps, on le laissoit quelque temps exposé à la veuë de ceux qui vouloient le voir. Cela estoit accompagné de pleurs &amp; de lamentations sur les Morts ; comme on fit sur S. Etienne, au raport de S. Luc ch. 7. des Actes. De là vient que Saint Paul, dans le chap. 4. de l’Epître aux Tessaloniciens, console ceux qui pleurent sur les morts, par l’espérance de la Resurrection &amp; de l’Immortalité.</p>
            <p>L’Autheur des Commentaires de Job, parmy les Ouvrages d’Origene, fait mention dans le livre 7. des sept jours &amp; des sept nuits de Deüil. S. Cyprien ne l’oublie pas dans le Traité de la <hi rend="i">Mortalité</hi>, où il tâche de le moderer. S. Chrysostome, dans l’homel. 61. sur S. Jean, ne condamne pas en ces occasions les larmes &amp; les pleurs, mais seulement ce grand excez. Il en use dans le discours 3 sur les Philistins, de la mesme maniere. Il reprend surtout fortement la coutume qui s’estoit introduite de son temps, &amp; qui s’estoit enracinée, de prendre des Femmes à prix d’argent pour pleurer &amp; lamenter aux Funerailles. Ce sont celles dont nous avons cy-devant parlé.</p>
            <p>Le mesme S. Cyprien ne menace-t-il pas dans la 4. homelie sur l’Epistre aux Hebreux, d’en excommunier les Autheurs, s’ils n’arrestent le cours de cette dangereuse pratique ? Gregoire de Tours dans le chap. 34. liv. 5. de son histoire, &amp; Alcuin sur le chap. 12. de l’Ecclesiaste, en parlent de la mesme maniere que les autres.</p>
            <p>Comme l’excez de la pompe &amp; de la magnificence s’estoit beaucoup augmenté pour la Sepulture, Prudence titre 8. de la Bibliothéque des Peres, le décrit dans son Hymne des Funerailles, &amp; parce que le plus souvent il alloit à une dépense excessive, Saint Augustin dans le chap. 12. du Livre de la Cité de Dieu, blâme cette superfluité. Gregoire I. défend de couvrir de quoy que ce soit le Cercueil du Pontife, &amp; de rien recevoir pour la Sepulture des Morts liv. 4. Epistre 4. &amp; 44.</p>
            <p>Du temps des Apostres il y avoit de jeunes Gens destinez pour la Sepulture des Corps. Ce sont ceux que les Romains appelloient <hi rend="i">Vespi</hi>, ou <hi rend="i">Vespillones</hi>. Ils avoient soin de tout ce qui devoit estre observé, &amp; de l’ordre que l’on y devoit tenir. L’histoire d’Ananias &amp; de Saphyra nous en fait mention. Dans les temps suivans les Personnes les plus considerables, &amp; les plus pieuses, faisoient gloire de s’employer à ce devoir charitable, &amp; digne de pieté.</p>
            <p>Gregoire de Nazianze remarque dans l’Oraison Funébre 20. de Saint Basile, qu’il fut porté en Terre par les mains de quelques Saints Personnages, &amp; qu’alors on avoit estably un certain nombre de Personnes pour porter les Corps au Tombeau.</p>
            <p>Les Flambeaux &amp; les Torches ont esté mis en usage de tout temps, comme on le remarque du temps des Grecs &amp; des Troyens. C’est ce qui s’est pratiqué aux Funérailles de Misénus &amp; du Prince Pallas, comme nous avons dit ; &amp; dans le temps des Chrétiens Saint Cyprien fut inhumé de cette maniere, comme on le voit dans les Actes de son Martyre, dont Ponce son Diacre fait mention en sa Vie.</p>
            <p>M<hi rend="sup">r</hi> Rigaut &amp; M<hi rend="sup">r</hi> Lambert expliquant le mot Grec d’Origéne <hi rend="i">Scolaces</hi>, qui peut estre chez les Latins <hi rend="i">Spartum</hi>, veulent que ce terme signifie des Joncs, ou des cordes de Genest torses, qui estoient couvertes de Cire tant au dedans qu’au dehors, pour y servir de Flambeaux. Eusebe liv. 4. de la vie de Constantin le Grand chap. 66. y employe des Flambeaux, avec des Cantiques comme dit Saint Chrysostome. Gregoire de Tours liv. 3. chap. 18. parle du son des Cloche ; &amp; Beda dans l’histoire Ecclesiastique d’Angleterre liv. 4. chap. 23. en parle de la mesme sorte.</p>
            <p>On faisoit des Oraisons Funébres le jour des Funérailles, ou quelques jours aprés ; comme la coûtume s’en observe encore pour les Roys, pour les Princes ou autres Personnes de haut rang &amp; de merite, de l’un &amp; de l’autre Sexe. Gregoire de Nazianze fit celle de son Frere Cesarius, de Gergonie sa Sœur, &amp; de Saint Basile son Amy. Gregoire de Nysse prononça celle de Meletius Evesque d’Antioche.</p>
            <p>Mais pour ce qui est des Oraisons Funébres ou Panégyriques, &amp; de leur antiquité, on tient que Valerius Publicola, qui fut déclaré le premier Consul de Rome, pour en avoir chassé les Roys par le secours que Brutus luy presta, a esté le premier qui les ait instituées aprés la mort du mesme Brutus. Quelques-uns sont d’opinion que dés les premiers Roys de Rome, ces Panégyriques avoient esté introduits, puis que Romulus mesme qui en estoit le premier, faisant une Harangue publique en pleine Assemblée du Senat, &amp; de tous les Grands de Rome, &amp; venant à s’emporter avec excez contr’eux, fut déchiré en pieces. Florus en parle ainsi. Les Romains ont esté les premiers qui ont commencé cette Cerémonie, &amp; les Grecs à leur imitation s’en sont servis aprés eux. Il est toutefois constant que dans les Guerres des Grecs, on voit Ulisse &amp; Ajax dans leurs Harangues en la dispute des armes d’Achille, faire une grande énumeration des hauts faits de ce Prince, &amp; des hautes qualitez de sa Race, en la présence du Roy Agamemnon, &amp; des autres Princes de la Grece, &amp; qu’ainsi les Romains ne pouvoient pas estre les premiers Autheurs de ces Panégyriques.</p>
            <p>Mais d’autres sont de ce sentiment, que le Philosophe Solon, qui vivoit du temps de Tarquin l’ancien, institua les Oraisons Funébres ou Panégyriques. C’est ce que dit Anaximénes. Quelques-uns en donnent l’origine à Thesée, &amp; croyent que les Athéniens commencerent à loüer publiquement ceux qui avoient esté tuez en la Bataille de Salamine, de Marathon, ou en celle du Peloponese.</p>
            <p>Il est certain comme on voit dans Suetone, &amp; en d’autres Autheurs, que les Romains n’ont pas seulement loüe les Illustres Personnages tuez en Guerre, mais aussi ceux qui estoient morts en Paix, &amp; mesme aussi les Femmes d’une qualité éminente ; comme fit Jules Cesar âgé de 12. ans aux Obséques de sa Tante du costé de son Pere, devant les Senateurs &amp; dans le Barreau, &amp; pareillement son Epouse. Tibere en fit autant aux Funerailles de son Pere ; &amp; Mutius Scevola loüa en public aussi sa Mere.</p>
            <p>Nous avons dit que les Funérailles estoient accompagnées de Cantiques. Chez les Grecs on appelloit ces Chants <hi rend="i">Næniæ</hi> &amp; <hi rend="i">Epicedia</hi>. Les Latins les appelloient <hi rend="i">Planctus</hi> ou <hi rend="i">Lamenta</hi>. Il est certain que les Hebreux &amp; les Juifs s’en sont servis dans leurs temps, ce qui est remarqué dans l’Ecriture Sainte, &amp; que le Roy David les a employez en la mort de Saul &amp; d’Abner. Les Romains ont voulu éteindre ces excez de Lamentations par leur Loy des XII. Tables qui le dit ainsi, <hi rend="i">Mulieres ne genas radunto</hi>, parce que, comme nous avons dit, les Femmes s’arrachoient les cheveux &amp; les jouës.</p>
            <p>De plus, on faisoit des distributions d’aumônes, de Pains &amp; de Viandes, comme disent Origéne &amp; Saint Hierôme en la Lettre 26. à Pammachius, pour le consoler de la mort de Pauline sa Femme, &amp; Saint Augustin en l’Epistre 64. à Aurele Evesque de Carthage.</p>
            <p>On faisoit pareillement des Banquets prés des Tombeaux des Défunts, qui s’appelloient <hi rend="i">Agapes</hi>, comme par une dilection fraternelle. C’est dont parle Saint Cyprien, &amp; Tertulien en son Apologetique chap. 39. où les Pauvres estoient admis. Mais ayant remarqué que l’abus s’y estoit glissé, il les reprit aigrement, ainsi que Saint Gregoire de Nazianze. Ces Agapes se faisoient aussi bien en la naissance qu’aux mariages. Il semble que la coûtume de faire des Banquets soit venuë des Gentils : car c’étoit leur ordinaire de préparer de grands Festins aux Funerailles en faveur des Manes des Défunts, ausquels ils se persuadoient qu’ils venoient assister, &amp; prendre un grand plaisir, ou que du moins ils se repaissoient de la fumée des Viandes ; aussi c’estoit la coûtume de les y inviter, en criant à haute voix dans le Sepulchre.</p>
            <p>Les Grecs appelloient ces Banquets <hi rend="i">Peridipna</hi>, &amp; les Romains <hi rend="i">Parentalia</hi>. On laissoit souvent ces Viandes préparées sur les Tombeaux, ou on les consumoit au feu. Homere &amp; Virgile en font mention, &amp; ce dernier au liv. 5. de l’Eneïde.</p>
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              <lg>
                <l rend="i">Libavitque dapes.</l>
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            <p>Lucien en ses Dialogues, dit que cette superstition s’estoit estenduë chez plusieurs Nations, jusqu’au temps de Saint Augustin, comme ce Saint Personnage le rapporte au Discours 15. &amp; il la reprend bien à propos en ces termes. <hi rend="i">Quoy ? l’esprit ou les ames qui sont détachées des liens de leurs Corps, ont-elles besoin de ces somptueux Banquets ?</hi> Mais la pieté des anciens Patriarches estoit bien éloignée de la Gentilité &amp; des superstitions des Anciens ; car ils employoient ces Viandes presentées sur les Tombeaux à la nourriture des Nécessiteux ; &amp; cette coûtume s’est religieusement observée du temps des Israëlites, comme on le peut voir en la Sainte Ecriture Tobie 3. 17. où le Pere la recommande solemnellement au jeune Tobie : selon que l’ont remarqué Lyranus &amp; Turrianus.</p>
            <p>Du temps des premiers Romains Numa Pompilius leur Roy, voulut que le grand Pontife eust le soin de rendre les honneurs aux Dieux Manes, &amp; principalement à la Déesse <hi rend="i">Libitina</hi>, qu’ils tenoient présider à la mort ; d’où vient que l’on appelloit ceux qui estoient employez à ces devoirs <hi rend="i">Libitinarii</hi>. Il y avoit aussi à Rome la Porte <hi rend="i">Libitinensis</hi>, proche l’Amphithéatre de Statilius, par laquelle on portoit les Corps des Gladiateurs dans le lieu de leur Sepulture. C’est dequoy par le Plutarque.</p>
            <p>Les Jeux Funébres se celebroient aussi en la Ville de Rome. Celuy des Gladiateurs y estoit employé en l’honneur des principaux Romains, pendant que leurs Corps estoient dans le Bucher ; &amp; de là les Gladiateurs qui y combattoient estoient appellez <hi rend="i">Bustuarii</hi>. Marcus &amp; Décius Fils de Junius Brutus furent les premiers qui en célebrerent en faveur de leur Pere. Ces Jeux furent empruntez des Grecs &amp; des Troyens, comme on le voit dans le liv. 5. de l’Eneïde, où Enée en l’honneur de son Pere Anchise, en fait representer de cinq sortes chez Acestes Roy de Sicile, où son Pere estoit inhumé, ce qui se faisoit le 9. jour aprés l’an finy.</p>
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              <lg>
                <l rend="i">Expectata dies aderat, nonámque serenâ</l>
                <l rend="i">Auroram Phaëtontis equi jam luce ferebant.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Les Cyprez se plantoient ordinairement aux Funerailles des Princes &amp; des grands Seigneurs, autour de leurs Sepultures &amp; de leurs Tombeaux, &amp; mesme devant la porte de leurs maisons. C’est une espece d’Arbre funeste, &amp; qui est pris pour la mort ; car estant coupé il ne renaist jamais. L’Ache servoit aux Sepultures de la Populace au lieu de cét Arbre. C’est ce que represente Alciat en ses Emblêmes par ce Distique.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Funesta est arbor Procerum Monumenta Cupressus,</l>
                <l rend="i"> Quale Apium plebis promere fronde solet.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>De plus, on nettoyoit la Maison du Mort avec une espece de Balay particuliere ; &amp; ceux qui avoient ce soin s’appelloient <hi rend="i">Everruncatores</hi>.</p>
            <p>Chez les Anciens on couvroit de guirlandes de Fleurs la teste des Vierges, avant que de les mettre au Tombeau ; on y en jettoit aussi de blanches en faveur de leur Virginité, comme Damascéne &amp; Nyssénus le remarquent. Chez les Romains quand une Veuve mouroit, qui n’avoit eu qu’un seul Mary, on la portoit au Tombeau de son Epoux, avec une Couronne de pudicité. On a souvent envoyé les Corps des Défunts vétus de blanc dans le lieu de leur Sepulture. Les Femmes mesme des Personnes de qualité, dans les Funérailles de leurs Epoux se vétoient de la mesme couleur.</p>
            <p>La mesme coûtume s’observe encore en Angleterre, de se servir de Fleurs blanches &amp; de vêtir les Corps des Défunts d’habits blancs. Cela se pratiquoit autrefois en France en la mort d’un Roy ; &amp; la Reyne se vétoit de blanc, c’est d’où est venu le nom de la Reyne Blanche, comme Alexandre Surdus l’a remarqué, &amp; Polydore Virgile liv. 6. chap. 7.</p>
            <p>On avoit aussi coûtume quelquefois aprés les Obséques de répandre diverses Fleurs &amp; Parfums sur les Sepulchres ; comme fit le Peuple Romain sur celuy d’un des Scipions ; &amp; si c’estoit un Guerrier, on attachoit autour du Monument son Bouclier, son Casque, son Epée &amp; divers autres Ornemens. Cette coûtume n’est pas encore esteinte presentement, comme on peut voir dans nos Temples, où sont les Drapeaux &amp; les Armes de nos Genéraux d’Armée, attachez aux Voutes. C’est ce que dit fort à propos Virgile liv. 9. de l’Eneïde.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Suspendive Tholo, aut sacra ad fastigia fixi.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>On mettoit des feüilles de Laurier, de Myrthe, ou de quelques autres Arbres qui gardent leur verdure, dans les Tombeaux, sous les Corps des Défunts ; ce que Durantes remarque estre un Symbole mystérieux de l’immortalité, en faveur de ceux que l’on croit ne prendre qu’un doux sommeil, pour revivre un jour mieux qu’auparavant.</p>
            <p>Il y avoit de plus les Lampes sepulcrales que l’on mettoit dans les Mausolées. Ces Lampes avoient une vertu particuliere qu’elles ne s’esteignoient aucunement, tant qu’elles n’avoient point d’air ; soit que cette vertu vinst du Lumignon qui pouvoit estre fait du Lin <hi rend="i">Asbestos</hi>, ou de la Pierre Amianthos dont nous avons parlé, ou que cela procedast de la matiere ou de l’Huile qui y estoit employée. Nous avons Saint Augustin pour témoin, de cette verité. Il dit en sa Cité de Dieu liv. 1. chap. 6. qu’en foüillant dans les ruines d’un ancien Monument, on y trouva une Lampe d’or, qui selon son inscription y avoit demeuré allumée prés de deux mille ans, &amp; que quand l’air y eut entré, elle s’esteignit. Il est encore certain que dans Rome on trouve assez souvent de ces Lampes dans les Catacombes &amp; en d’autres lieux. <hi rend="i">Roma subterranea</hi> en peut fournir des exemples.</p>
            <p>Quoy que nous ayons dit un mot des Epitaphes &amp; de leur origine, en parlant de la Sepulture d’Abel, il est à propos de les distinguer des inscriptions. Les inscriptions marquent sur des Pierres, Airain ou autre Matiere, certains Caractéres, Titres ou Lettres Majuscules, qui designent à quelles Personnes les Sepulchres ou Tombeaux appartiennent, &amp; d’ordinaire les mots en estoient en abregé, comme on le peut voir en ces Lettres Sepulchrales. <hi rend="i">H. M. N. H. S.</hi> qui veulent dire, <hi rend="i">hoc monumentum non hæredes sequitur</hi>. Mais les Epitaphes comprenoient ordinairement les noms, les dignitez &amp; les vertus, ou les hautes actions de ceux qui estoient en ces Monumens. On remarque que les plus anciennes avoient un style particulier, &amp; une agréable varieté dans leurs termes, quoy que quelques-unes fussent simples &amp; naïves ; &amp; comme elles ne sentoient ny les Vers ny la Prose ; il y avoit un art ou une cadence dans les mots dont on les formoit qu’on appelle <hi rend="i">Art Lapidaire</hi>, &amp; qu’Emanuel Thesaurus de Savoye a fait revivre en la vie de ses Patriarches. Ce sçavant Personnage a fait des Peintures achevées de toutes les Personnes qu’il a écrites en son Livre, &amp; on ne les lit qu’avec admiration. Son Livre a esté imprimé depuis quelque temps à Rome avec deux fois autant d’augmentation sur d’autres sujets curieux &amp; sçavans.</p>
            <p>La pluspart des Epitaphes se faisoient aussi en Vers ; &amp; pour voir les Eloges que l’on donnoit au merite, à la dignité &amp; aux vertus des Personnes, le Livre intitulé <hi rend="i">Rome Souterraine</hi>, en fournit un grand nombre tant par inscriptions que par Epitaphes, estant recueillies de divers Autheurs.</p>
            <p>Plusieurs ont écrit leurs Epitaphes de leur vivant, comme le Cardinal Baronius le rapporte de Cassius, Evesque de Narnie.</p>
            <p>Pierre le Diacre a fait un excellent Traité des Epitaphes &amp; des Inscriptions, &amp; mesme des marques Hierogliphiques ou Caracteres Romains, qui se trouvoient sur les anciens Tombeaux ou Sepulchres. Bosius est aussi un Autheur fort curieux de ces antiquitez, de mesme que Jean Severanus &amp; Paul Aringhus.</p>
            <p>Vvolphangus traitant cette matiere liv. 3. chapitre dernier, rapporte tant sur Rome, sur Naples, que sur le Portugal, &amp; autres lieux, plusieurs Epitaphes &amp; Inscriptions fort anciennes, &amp; dit qu’on a trouvé plusieurs vaisseaux d’or, d’argent, d’Airain ou d’autre matiere dans les Sepulchres, dans lesquels les ossemens &amp; les cendres des Corps estoient encore enfermées, &amp; il en marque souvent les temps.</p>
            <p>Pausanias en ses Attiques marque de quel temps les Epitaphes ont commencé, &amp; dit aussi que l’on érigeoit des Autels à la Milice qui avoit esté tuée pour la défense de la Patrie, &amp; qu’on luy rendoit des honneurs annuels ; ce que Lycurgue ordonna aussi d’être observé.</p>
            <p>Pour ce qui est d’inhumer les Corps couchez sur le dos, la teste vers le Couchant, &amp; les pieds vers l’Orient, c’est ce que Quallard a remarqué dans ses Voyages de la Terre Sainte, &amp; ce qui se pratique encore aujourd’huy. Le Concile de Macon, Canon 17. défend d’inhumer les Corps les uns sur les autres ; mais on doit les mettre à costé. Il le dit ainsi. <hi rend="i">Non licet mortuum super mortuum mitti</hi>.</p>
            <p>Les Instituts de l’Empereur Justinien ne permettent pas d’ensevelir aucun dans le Tombeau d’autruy, sans son consentement. <hi rend="i">Non licet inferre mortuum in tumulum alienum invito domino</hi>.</p>
            <p>Les Romains eurent leur temps limité pour regretter les morts ; car Numa ajoûta aux Sacrifices qu’il avoit établis, ceux que l’on devoit faire aux Dieux Manes. Il défendit de regretter aucun enfant au dessous de trois mois, &amp; ne jugea pas à propos qu’un plus âgé fust regretté plus de mois qu’il n’avoit vécu d’années. Pour les Personnes mariées, le terme estoit fixé à dix mois au plus. Mais si quelque Femme se remarioit avant ce temps, elle en estoit reprise, &amp; c’estoit une honte pour elle, selon le Code &amp; l’Ordonnance de ce Roy.</p>
            <p>Il n’en alla pas de mesme de cette Veuve de la Ville de Lyon, qui sans garder les temps prescrits par l’Ordonnance, épousa vingt trois Maris, &amp; dont le dernier l’ayant mise au Tombeau, fut couronné de Fleurs, ayant une branche de Laurier en la main, en marque de victoire &amp; de triomphe, &amp; accompagna le Cercueil en cette maniere, avec toute la jeunesse de la Ville, qui pour honorer les Funerailles y fit venir les Violons, &amp; les Haut-bois, qui joüerent par concerts &amp; avec mélodie, comme si c’eust esté une nopce au lieu d’un convoy de mort.</p>
            <p>Plutarque dit en ses Problémes que les Veuves mettoient bas leur Pourpre, leurs Anneaux, leurs Bracelets, &amp; qu’elles se vétoient de blanc ; mais que le temps du deüil estant expiré, elles reprenoient leurs vétemens somptueux avec leurs Bijoux, comme le dit Tite-Live.</p>
            <p>Chez les Juifs le deüil estoit de trente jours, &amp; les Anglois observent la mesme coûtume à Rome, selon Horace en ses Epodes, on faisoit un Sacrifice le 9. jour d’aprés la Sepulture ; &amp; les Jeux commençoient le mesme jour aussi.</p>
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              <lg>
                <l rend="i">Novendiales dissipare pulveres.</l>
              </lg>
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            <p>Il y avoit une coûtume chez les Romains, qui sentoit fort son antiquité, comme le fait voir S. Augustin en la Cité de Dieu liv. 4. chap. 11. par laquelle cette Nation faisoit mettre à terre les Enfans nouveau-nez par les mains des Sagefemmes, &amp; les Peres les relevoient, pour se remettre en memoire que toutes choses doivent retourner en leur principe. De là estoit pris le nom de l’adresse <hi rend="i">Levana</hi>, que les Gentils adoroient.</p>
            <p>On a veu des Sepulchres miraculeusement construits en peu de temps. Sous l’Empereur Trajan, Saint Clement I. Pontife Romain de son nom, ayant esté précipité une Ancre au col, les Eaux se retirant à ses prieres, les Anges luy érigerent un Monument au fond de la Mer, afin de luy donner la Sepulture en ce lieu. Cét Element par une merveille surprenante, se retiroit tous les ans la veille de sa Feste ; en sorte que tout le monde pouvoit aller visiter ce Sepulchre que la Mer recouvroit aprés le jour expiré. C’est où un Enfant demeura endormy pendant un an par miracle.</p>
            <p>Les Iasiens érigerent un magnifique Mausolée à un jeune Enfant &amp; à un Dauphin, pour l’amour qu’ils avoient contracté ensemble. Ce Poisson avoit coûtume de porter cét Enfant sur la Mer en se joüant, &amp; de le rapporter au rivage ; mais ayant esté piqué d’une des épines de son dos, il en mourut ; ce qu’ayant apperceu le Dauphin, il en mourut de regret. Leurs Corps estant trouvez sur le Sable, ils furent portez en ce Monument. Les mesmes érigerent une Statuë de Marbre en leur honneur, representant un Dauphin qui portoit un Enfant sur son dos, avec cette belle Devise.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Non pondus amori.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Ils fabriquerent mesme des Médailles d’argent qui representoient leurs Images, &amp; laisserent à la postérité l’histoire de leur amour. Les Romains se vantent qu’il en est autant arrivé au Lac Lucrin, prés de leur Ville.</p>
            <p>Il se trouve des animaux qui se rendent ce devoir les uns aux autres. Les Gruës, comme dit Elian livre 2. chapitre 1. partant de Thrace pour passer en Egypte, afin d’y trouver un Climat plus temperé, si quelqu’une de leur compagnie meurt en chemin, elles s’assemblent autour, la couvrent de Sable, &amp; continuent leur route, aprés luy avoir rendu ce dernier devoir.</p>
            <p>Les Abeilles, comme dit Virgile liv. 4 des Georgiques, ne se rendent-elles pas ce dernier devoir en leurs Funerailles, avec beaucoup de soin &amp; de regret ?</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Tum corpora Luce carentum</l>
                <l rend="i">Exportant tectis, &amp; tristia funera ducunt.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Mais voila une merveilleuse surprise qui arriva aux yeux des principaux Romains. Drusilla Epouse de l’Empereur Caligula estant morte, comme on en brûloit le Corps avec la pompe &amp; la magnificence accoûtumée, une Aigle qu’elle avoit élevée &amp; nourrie de sa main, &amp; qui la suivoit en quelque part qu’elle allast en volant d’Arbre en autre, voyant que l’on mettoit le Corps de cette Imperatrice dans le Bucher, s’y précipita d’elle mesme &amp; s’y consuma à même temps ; tant la passion de cét Oyseau estoit grande.</p>
            <p>Avant que l’on inhumast dans les Villes &amp; dans les Temples, on mettoit les Corps en des Grottes souterraines, ou dans les Champs en des lieux que l’on appelloit <hi rend="i">Aires</hi> ; comme il est dit de Saint Cyprien, qui fut inhumé dans l’Aire d’un Procureur nommé Candide. Souvent on élevoit des Monumens &amp; des Sepulchres sur les lieux où les Martyrs avoient esté ensevelis. Les Catacombes à Rome nous donnent un témoignage de ces Sepultures.</p>
            <p>La Loy des XII. Tables défendoit de brûler ou d’inhumer aucun dans l’enceinte de Rome, &amp; elle portoit ces mots, <hi rend="i">In urbe ne sepelito, neve urito</hi>. Dans ce temps là il y avoit beaucoup de Monumens ou Tombeaux autour de cette Ville, tant vers la Porte Capene, au chemin d’Appie, que vers la Porte Nomentane. Les plus considerables estoient dans le Champ de Mars, comme asseure Clement Alexandrin liv. 1. des Guerres Civiles.</p>
            <p>Mais ensuite de ces premiers temps, on a inhumé les Corps à la porte des Temples, &amp; en leur circuit, &amp; l’une a pris exemple sur l’autre. L’Empereur Constantin le Grand fut enseveli à Constantinople dans le Portique du Temple des Apostres ; Clovis à Paris en celuy de Saint Pierre Saint Paul, aujourd’huy Sainte Geneviéve ; Clotaire dans celuy de Saint Germain des prez ; Charlemagne à Aix la Chapelle dans le Temple de Sainte Marie.</p>
            <p>Enfin la coûtume se relâcha de n’inhumer pas dans les Villes, ny prés de leurs enceintes, &amp; l’on permit à Rome, &amp; principalement à ceux qui avoient mérité le Triomphe, d’avoir leurs Sepulchres dans la Ville, comme aussi à ceux qui par leur race ou par leurs vertus estoient illustres. De là est venuë la <hi rend="i">Ruë Patricienne</hi>, où il y au pied du Mont Viminal &amp; Quirinal, quantité de Mausolées pour ces Personnes considerées. Enfin l’usage s’en est introduit par tout, &amp; l’on n’a plus eu d’égard aux Loix qui le défendoient auparavant.</p>
            <p>Mais avant que de finir ce discours, nous dirons que les Turcs, estant prests de mettre au Tombeau les Corps des leurs, les rasent &amp; les lavent, &amp; que leurs Sepulchres sont sur le bord des chemins ; &amp; qu’il y a eu des Roys &amp; des Princes qui faisoient porter leurs Tombeaux au front de leur Armée, pour avoir l’image de la Mort devant leurs yeux, &amp; pour ne la pas redouter dans les combats ; comme dit Calcondyle livre 3. Le Tombeau de Mahomet qui est à la Méque, &amp; que quelques Autheurs disent estre de Fer, &amp; soutenu en l’air par la vertu de l’Aimant, est visité tous les ans par de grandes Caravanes de quatre-vingt &amp; cent mille Personnes, pour estre en asseurance contre les Arabes qui ont coutume de les détrousser sur le chemin, &amp; où l’on porte un magnifique &amp; riche Pavillon de la part du Grand Seigneur, pour en couvrir le Tombeau de leur Prophete.</p>
            <p>Quoy que les &amp; les Mausolées magnifiques Sepulchres dont nous avons parlé, ayent esté pour les Roys &amp; pour les Princes, voicy qu’un accident fait qu’une Fourmy est plus noblement ensevelie que Cleopatre Reyne d’Egypte. Cette Epigramme le dit, parce que ce petit animal fut enfermé dans de l’Ambre transparent, &amp; cette Reyne dans du Marbre.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Quamvis mygdonio jaceat Cleopatra sepulcro,</l>
                <l rend="i"> Hæc Formica jacet nobiliore loco.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Nous finirons par le Sepulchre de Timon, dit le <hi rend="i">Misantrope</hi>, qui avoit esté construit sur le bord de la Mer, &amp; que cét Element avoit tellement en horreur, qu’il vomissoit continuellement ses Flots contre, &amp; avec le temps le repoussa fort loin : car comme il avoit eu en haine les Hommes, la Mer n’en eut pas moins de son Corps &amp; de son Tombeau. Voila l’Epitaphe qu’il s’estoit fait luy mesme, &amp; que l’on voyoit.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Hic sum post vitam miserámque inopemque sepultus ;</l>
                <l rend="i"> Nomen non quæras, dii lector, te malè perdant.</l>
              </lg>
            </quote>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_115" resp="wordpro">
          <head>[Divers Madrigaux sur les Enigmes de l’Orange de la Chine &amp; de la Perruque]</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 115-120</bibl>
          <p>L’Orange de la Chine, <hi rend="i">&amp;</hi> la Perruque, <hi rend="i">estoient les vrais Mots des deux Enigmes de Mars. En voicy quelques Explications en Vers</hi>.</p>
          <quote>
            <label>I.</label>
            <lg>
              <l rend="i">De ces heureux Climats, de ces Lieux enchantez,</l>
              <l rend="i">Où le Soleil répand ses premieres beautez,</l>
              <l> <hi rend="i">Nous vient</hi> l’Orange de la Chine.</l>
              <l rend="i">Sa réputation fait bruit.</l>
              <l rend="i">Que benite soit la Machine</l>
              <l rend="i">Qui nous apporte un si bon Fruit.</l>
            </lg>
            <p><hi rend="sc">L. Bouchet</hi>, ancien Curé de Nogent-le-Roy.</p>
          </quote>
          <quote>
            <label>II.</label>
            <lg>
              <l rend="i"> Non, l’esprit n’est plus de saison,</l>
              <l rend="i"> Les Belles n’en font aucun compte,</l>
              <l rend="i"> Elles luy preférent sans honte</l>
              <l rend="i">Un Homme qui n’a pas seulement la raison.</l>
              <l rend="i"> Pourveu qu’il ait l’air du beau Monde,</l>
              <l rend="i"> Et qu’il sçache bien grimacer,</l>
              <l> <hi rend="i">Sous</hi> la Perruque <hi rend="i">brune ou blonde,</hi></l>
              <l rend="i"> Belle montre le fait passer.</l>
              <l rend="i"> Un Amant de ce caractere</l>
              <l rend="i"> Sçait admirablement se taire ;</l>
              <l rend="i"> Sa bestise le rend discret,</l>
              <l rend="i">Et c’est tout ce qu’on veut dans l’Amoureux mistere,</l>
              <l rend="i"> Point de plaisir, s’il n’est secret.</l>
              <l rend="i"> Un Homme d’esprit au contraire</l>
              <l rend="i"> Est sujet à faire des Vers,</l>
              <l rend="i"> Et l’on craint qu’à tout l’Univers</l>
              <l rend="i">Il ne fasse récit d’une secrette affaire.</l>
              <l rend="i"> Enfin il se voit méprisé,</l>
              <l rend="i"> Lors qu’un Sot est favorisé.</l>
            </lg>
            <p><hi rend="sc">Diereville</hi>.</p>
          </quote>
          <quote>
            <label>III.</label>
            <lg>
              <l rend="i"> On dit que depuis le Carême</l>
              <l rend="i">Celimene fait voir une sagesse extrême,</l>
              <l rend="i">Et qu’elle ne veut plus qu’on luy parle d’amour.</l>
              <l rend="i"> Mon pauvre Rival l’autre jour,</l>
              <l>La Perruque <hi rend="i">poudrée, &amp; la barbe bien faite,</hi></l>
              <l rend="i">Enfin comme un Amant qui veut faire sa cour,</l>
              <l rend="i">Mettoit tout son esprit à luy conter fleurette.</l>
              <l rend="i">Jamais discours ne fut plus touchant que le sien,</l>
              <l rend="i"> Sans qu’il en pust obtenir rien.</l>
              <l rend="i"> Ce qui sçavoit jadis luy plaire</l>
              <l rend="i"> Ne faisoit plus que l’irriter.</l>
              <l rend="i">Un changement à ses vœux si contraire</l>
              <l rend="i">Entre les dents le faisoit bien pester,</l>
              <l rend="i"> Mais il ne pût se rebuter.</l>
              <l rend="i">Il voulut voir la fin de ce mistere,</l>
              <l rend="i">Deust-il se faire encor plus maltraiter.</l>
              <l rend="i"> Ce qu’il craint arrive, de sorte</l>
              <l rend="i"> Que badinant comme autrefois,</l>
              <l rend="i"> La Belle contre luy s’emporte,</l>
              <l rend="i"> Et l’égratigne avec ses doigts,</l>
              <l rend="i">L’obligeant au plus vîte à regagner la porte.</l>
              <l rend="i"> Quel traitement pour un Galant ?</l>
              <l rend="i"> Fy d’un amour si violent ;</l>
              <l rend="i"> De la main de cette Cruelle</l>
              <l rend="i"> Je ne veux point estre batu ;</l>
              <l rend="i"> Ainsi je croy que sa vertu</l>
              <l rend="i"> Me va rendre aussi sage qu’elle.</l>
            </lg>
            <p>Le mesme.</p>
          </quote>
          <quote>
            <label>IV.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Sur l’Enigme du mois mon esprit se partage ;</l>
              <l rend="i"> Prenant vers l’Inde son essor,</l>
              <l rend="i"> En faveur de la Poudre d’or,</l>
              <l rend="i">Il tient d’abord pour cette heureuse Plage ;</l>
              <l rend="i">A la Grenade ensuite il voudroit s’attacher ;</l>
              <l> <hi rend="i">Le Portugal, par son</hi> Orange</l>
              <l rend="i"> Vient enfin pour l’en arracher,</l>
              <l rend="i"> Et l’oblige à prendre le change.</l>
            </lg>
            <p><hi rend="sc">C. Hutuge</hi> d’Orleans, demeurant à Metz.</p>
          </quote>
          <quote>
            <label>V.</label>
            <lg>
              <l><hi rend="i">De l’usage de</hi> la Perruque</l>
              <l rend="i">J’approuve la commodité ;</l>
              <l rend="i">Mais à l’égard de la santé,</l>
              <l rend="i">J’aime mieux moins couvrir ma nuque.</l>
              <l rend="i">C’est la réponse qu’en ce mois</l>
              <l rend="i">Je fais, comme déja je l’ay faite une fois</l>
              <l rend="i">A ta question, cher Mercure,</l>
              <l rend="i">Sans penser à l’Enigme obscure</l>
              <l rend="i">Que tu proposes en ce jour.</l>
              <l rend="i">Mon Quatrain, par cette avanture</l>
              <l rend="i">Pourroit esperer un retour.</l>
            </lg>
            <p>Le mesme.</p>
          </quote>
          <quote>
            <label>VI.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Certes Mercure est délicat ;</l>
              <l rend="i">On dit que jamais il ne mange</l>
              <l><hi rend="i">Aucune Perdrix sans</hi> Orange,</l>
              <l rend="i">Et qu’il fait tout avec éclat.</l>
            </lg>
            <p>Mademoiselle <hi rend="sc">de Launay-Buret</hi>, de Vitré en Bretagne.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_121" resp="wordpro">
          <head>Dixième partie du Traité sur les Lunetes [par Mr Comiers d'Ambrun</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 121-124</bibl>
          <quote>
            <label>DIXIEME PARTIE<lb/>DU TRAITÉ<lb/>DES LUNETES,<lb/>DEDIÉ A MONSEIGNEUR<lb/>LE DUC DE BOURGOGNE<lb/><hi rend="i">Par M</hi><hi rend="sup">r</hi> <hi rend="sc">Comiers</hi> <hi rend="i">d’Ambrun, Prevost de Ternant, Professeur és Mathematiques à Paris.</hi></label>
            <p>Nous avons demontré dans le dernier Mercure Extraordinaire, l’ancienneté des Binocles, &amp; avons donné leur facile Construction, de leur premier Inventeur <hi rend="i">Daniel Chorez</hi>, qui les présenta au Roy en l’année 1625. Nous avons aussi demontré que le R. P. Antoine Maria <hi rend="i">de Rheyta</hi>, ce sçavant Religieux Capucin Alleman, avoit donné la derniere perfection aux Binocles, composant de deux verres convexes chaque Lunete du Binocle Astropique, pour contempler les Astres, &amp; mettant quatre verres convexes, un objectif &amp; trois oculaires à chaque Lunete du Binocle, pour voir les objets terrestres. C’est de ces Binocles du P. Reyta, dont toute l’Europe a admiré le surprenant effet depuis 1642. ausquels on en fit de semblables en plusieurs Villes de l’Europe, dez lors que ce grand Homme en eut publié la Construction, dans son docte Livre intitulé <hi rend="i">Oculus Enoch &amp; Eliæ</hi>, imprimé à Anvers en l’année 1645.</p>
            <p>Mais parce que plusieurs doctes Allemans se plaignent contre un nouvel Autheur grand Adioptricien, &amp; avec les termes de M<hi rend="sup">r</hi> de Balzac dans sa 26. Lettre à Hydaspe, disent, <hi rend="i">Que la maladie qui se prend au bout des doigts, ayant frapé une teste</hi>, pour s’attribuer l’invention des Binocles, <hi rend="i">a composé plusieurs volumes de Visions, où il n’y a pas une pensée raisonnable. Ils ne s’étonnent pas</hi> (ajoûtent-ils avec M<hi rend="sup">r</hi> de Balzac) <hi rend="i">qu’il y ait des Hommes qui donnent de la réputation à des Sots, puis qu’ils ont fait des vœux &amp; brulé de l’encens à des Singes</hi>. Je dois justifier tous les Sçavans de nostre Nation, qui n’ont jamais hésité à reconnoistre le grand merite &amp; sçavoir du R. P. de <hi rend="i">Reyta</hi>, &amp; l’admirable effet de ces Binocles.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_180" resp="wordpro">
          <head>Avis donné à Mademoiselle… de l’infidélité que luy faisoit son Amant</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 180-185</bibl>
          <quote>
            <label><hi rend="sc">Avis donne’ a Mademoiselle</hi><lb/> .......... de l’infidelité que luy faisoit son Amant.</label>
            <lg>
              <l rend="i">On croit peu tout ce qu’on nous dit</l>
              <l rend="i">Contre le cher Objet de nostre tendre flâme,</l>
              <l rend="i">Et la Verité mesme, à convaincre nostre Ame,</l>
              <l rend="i">Auroit bien de la peine, &amp; seroit sans credit.</l>
              <l rend="i">Nostre cœur en secret qui pour luy s’interesse,</l>
              <l rend="i">Nous dit que c’est peut-estre un piege que luy dresse</l>
              <l rend="i"> Un fourbe, un calomniateur,</l>
              <l rend="i"> Que tout son crime est son malheur,</l>
              <l rend="i">Qu’on luy fait injustice, &amp; qu’à tort on l’accuse.</l>
              <l rend="i">Nous soupçonnons souvent le Dénonciateur,</l>
              <l rend="i">Ou de haine, ou d’envie, ou de jalouse ruse ;</l>
              <l rend="i">Nous le jugeons toûjours trop credule à l’erreur</l>
              <l rend="i">D’une apparence, ou vaine, ou trompeuse, ou confuse.</l>
              <l rend="i"> Tout est suspect, tout est abus,</l>
              <l rend="i">On le juge innocent parce qu’on le souhaitte,</l>
              <l rend="i">On demande une preuve &amp; plus claire &amp; plus nette,</l>
              <l rend="i">On se flatte, on balance, on doute tout au plus,</l>
              <l rend="i">Au plus homme de bien nôtre foy se refuse,</l>
              <l rend="i">Et de ce crime enfin, malgré nous convaincus,</l>
              <l rend="i">Un reste de tendresse ou l’absout, ou l’excuse.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Je ne connois que trop le peril que je cours,</l>
              <l rend="i">Mais bien plus que la peur vostre interest me touche,</l>
              <l rend="i"> Et ne pouvant de quelques jours</l>
              <l rend="i"> Vous faire entendre par ma bouche</l>
              <l rend="i"> L’inconstance de Clidamis,</l>
              <l rend="i"> J’ay crû qu’au moins par cette Lettre</l>
              <l rend="i">Je devois au plûtost vous en donner avis,</l>
              <l rend="i"> Et que vous pouviez me permettre</l>
              <l rend="i"> Cette petite liberté,</l>
              <l rend="i">Qu’aprés tout je ne prens que pour vostre service.</l>
              <l rend="i">Heureux dans mon dessein pourveu qu’il réüssisse !</l>
              <l rend="i"> Cependant je me suis flatté</l>
              <l rend="i"> Que mon zele ardent &amp; sincere,</l>
              <l rend="i">Et mesme à vostre cœur utile &amp; salutaire,</l>
              <l rend="i"> N’avoit rien qui dûst vous déplaire,</l>
              <l rend="i">Ny qui pûst contre moy vous causer du dépit.</l>
              <l rend="i">Voicy donc, belle Iris, ce secret d’importance,</l>
              <l rend="i"> Et le veritable recit</l>
              <l rend="i">De sa prodigieuse &amp; nouvelle inconstance.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tantost rien n’est si doux, rien si beau que vos yeux,</l>
              <l rend="i"> Tantost ce sont vos blonds cheveux</l>
              <l rend="i"> Qui meritent cette loüange ;</l>
              <l rend="i">Tantost si l’on en croit cet infidelle Amant,</l>
              <l rend="i"> Vostre teint est celuy d’un Ange ;</l>
              <l rend="i"> Qu’il revienne dans un moment,</l>
              <l rend="i"> Par un contraire sentiment</l>
              <l rend="i"> Il dira qu’il n’est rien qui vaille,</l>
              <l rend="i"> Et vostre port &amp; vostre taille ;</l>
              <l rend="i"> Aujourd’huy vostre belle humeur</l>
              <l rend="i"> L’enchante &amp; luy ravit le cœur ;</l>
              <l rend="i"> Ce sera demain autre chose,</l>
              <l rend="i"> Il voudra mesme que la Rose</l>
              <l rend="i"> N’ait point ce brillant coloris</l>
              <l rend="i"> Qu’à vostre bouche ; que le lys</l>
              <l rend="i">Vous le cede d’abord, &amp; confesse à sa honte</l>
              <l rend="i"> Que vostre blancheur le surmonte.</l>
              <l rend="i"> Vous diray-je ce qu’il me dit</l>
              <l rend="i"> Lundy matin de vostre esprit ?</l>
              <l rend="i"> Ce n’estoit que delicatesse,</l>
              <l rend="i"> Que lumiere, que politesse,</l>
              <l rend="i"> Que complaisance, que douceur,</l>
              <l rend="i"> Et le soir changeant de langage,</l>
              <l rend="i"> Que rien n’égaloit vostre cœur,</l>
              <l rend="i">Qui pour ses vrais amis estoit plein de chaleur ;</l>
              <l rend="i"> Que le tour de vostre visage</l>
              <l rend="i"> Avoit je ne sçay quels appas</l>
              <l rend="i"> Que toutes les autres n’ont pas.</l>
              <l>Helas ! mon cher Tircis, <hi rend="i">ajoûta-t-il encore,</hi></l>
              <l>Que la charmante Iris que j’aime, que j’adore,</l>
              <l> A de grace en ce qu’elle fait !</l>
              <l> Mais pour achever ce Portrait</l>
              <l> Qui me semble peu digne d’elle,</l>
              <l>Ah ! que son Ame est grande ! Ah ! qu’elle est bonne &amp; belle !</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Enfin c’est ainsi chaque jour</l>
              <l rend="i"> Que ce trop aimable volage</l>
              <l rend="i"> Entre vous mesme se partage,</l>
              <l rend="i">Et que tous vos appas l’engageans tout à tour,</l>
              <l rend="i"> Il change &amp; d’objet &amp; d’amour.</l>
              <l rend="i">Hé bien, Iris, hé bien d’une telle inconstance</l>
              <l rend="i"> Que dit tout bas vostre couroux ?</l>
              <l rend="i"> Le zele qui m’attache à vous,</l>
              <l rend="i"> Devoit il garder le silence ?</l>
              <l rend="i">Mais je le dis encor, tout criminel qu’il est</l>
              <l rend="i">On a peine à punir un coupable qui plaist,</l>
              <l rend="i">Et le cœur en secret qui veut son innocence,</l>
              <l rend="i"> Pesant son crime &amp; son amour,</l>
              <l rend="i"> Met tant de feux dans la balance,</l>
              <l rend="i"> Qu’avec cette prompte assistance</l>
              <l rend="i">Le Bassin qui levoit se rabaisse à son tour</l>
              <l rend="i"> Vers le costé de la clemence.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_204" resp="wordpro">
          <head>[Lettre de M<hi rend="sup">r</hi> de Vienne Plancy, sur l’Ecriture universelle]</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 204-231</bibl>
          <quote>
            <label><hi rend="i">Voicy, Madame, une nouvelle Lettre de M<hi rend="sup">r</hi> de Vienne Plancy, sur l’Ecriture universelle</hi>.<lb/>A Fau-Cleranton le 4. Juin 1685.</label>
            <p>Ce n’a pas esté sans raison, Monsieur, que j’ay differé si long-temps à m’acquitter de ce que je vous ay promis à la fin de ma derniere Lettre, sur mes projets d’Ecriture universelle, rapportée dans le 23 Extraordinaire. Dispensez moy neanmoins de vous apprendre aujourd’huy la cause de ce retardement ; c’est un mystere qui sera plus propre à estre éclaircy une autrefois. La promesse que je vous en ay faite a deux parties. La premiere, m’engage à donner du jour à mes deux Lettres précedentes ; &amp; la seconde, à fournir des moyens d’abréviation pour ces sortes d’Ecriture. Le jour que je leur puis donner, ne se tire que des reflexions qu’il est à propos de faire sur leur composition ; sur l’enchaînement genéral &amp; naturel de leurs Dictionnaires ; sur le grand nombre de mots simples, dont je les ay enrichies ; sur l’exacte distribution de leurs Chiffres en neuf &amp; en trois, pour le rapport particulier de ces mots ; sur la facile distinction des manieres differentes, dont elles marquent les neuf parties du discours ; sur la reduction de leurs noms à une seule façon de les décliner, &amp; de leurs verbes à une seule façon aussi de les conjuguer ; &amp; enfin sur la regle d’équité que j’ay observée par tout autant que j’ay pû, qui veut <hi rend="i">qu’on traite également les choses égales</hi>. Moyens qui ont pour fondemens la nature, la raison &amp; l’ordre ; &amp; qui par consequent ne sçauroient manquer de rendre ces Ecritures tres-propres à s’imprimer dans l’esprit, &amp; à y conserver sans embarras le souvenir de leurs caracteres, tant à l’égard de l’expression, que de la signification ; mais comme il suffit de proposer aux Personnes intelligentes les sujets sur lesquels elles doivent refléchir, pour les leur faire approfondir, &amp; y voir clair, sans qu’il soit besoin de les étendre, je laisseray, Monsieur, à vostre penetration l’accroissement des lumieres que j’ay données, &amp; je ne vous en diray rien davantage.</p>
            <p>Quant aux moyens d’abreviation, vous sçavez que toute Ecriture, comme toute Langue, consiste dans son Dictionnaire &amp; dans sa Grammaire ; &amp; qu’il est impossible dans le fonds, d’abreger le Dictionnaire, parce qu’il doit contenir les expressions de tous les estres, &amp; de tous leurs accompagnemens ; soit qu’on les détaille directement, comme j’ay fait par un grand employ de Chiffres primitifs, dans celuy que j’ay dresse, suivant la methode commune ; soit qu’on en marque une partie directement, &amp; l’autre indirectement, en rapportant les choses subalternes aux principales, comme j’ay fait par le secours des Chiffres auxiliaires, dans celuy que j’ay proposé selon la methode particuliere.</p>
            <p>Il n’en est pas de mesme de la Grammaire ; on peut abreger les expressions qui en dépendent, j’entends les variations de ses mots. Nostre langue &amp; ses voisines réduisent par exemple, toutes les déclinaisons, à celles de l’article définy, ou de l’indéfiny, &amp; ne leur attribuent que deux genres, &amp; quatre cas. Elles expriment les degrez de comparaison, par des adverbes ; ceux de diminution &amp; d’augmentation, par des adjectifs ; les verbes passifs, par le verbe substantif avec un participe ; &amp; les verbes meslez, par la jonction d’un pronom personnel, au verbe actif &amp; au passif.</p>
            <p>On peut imiter ces abreviations, &amp; mesme encherir sur elles, puis qu’on peut reduire les deux articles à un seul, tel que l’article genéral de ma methode particuliere ; marquer par luy, le singulier &amp; le pluriel de tout ce qui se décline, aussi bien que les genres &amp; les cas, comme je l’ay déja proposé dans cette Methode ; joindre dans sa déclinaison le vocatif au nominatif, comme je l’ay pratiqué dans ma Methode Commune ; employer les adverbes <hi rend="i">plus</hi> &amp; <hi rend="i">moins, le plus</hi> &amp; <hi rend="i">le moins</hi> à exprimer les degrez de diminution &amp; d’augmentation, aussi bien que ceux de comparaison ; &amp; former les verbes actifs par le verbe substantif avec leur participe du temps present ; comme nous composons les verbes passifs par luy, avec leur participe du temps passé, selon ma premiere idée, expliquée dans ma Lettre de vostre 19. Extraordinaire p. 304. &amp; dire par ex. je <hi rend="i">suis aimant</hi>, tu <hi rend="i">es aimant</hi>, il <hi rend="i">est aimant</hi>, j’ay <hi rend="i">esté aimant</hi>, je <hi rend="i">seray aimant</hi>, &amp;c. au lieu de dire, j’aime, tu aimes, il aime, j’ay aimé, j’aimeray, &amp;c.</p>
            <p>On peut ajoûter d’autres abreviations à celles-là, &amp; par ex. ne point donner de variations aux genres des adjectifs &amp; des participes, comme en ont <hi rend="i">beau</hi> &amp; <hi rend="i">belle, approchant</hi> &amp; <hi rend="i">approchante</hi> ; mais les traiter comme <hi rend="i">sage, brave, estant, ayant</hi>, dont les genres ne sont point distincts ; reduire la conjugaison, aussi bien que la déclinaison, &amp; à cét effet ne la composer que de trois mœufs &amp; modes à l’imitation de l’Hebreu, sçavoir, de l’infinitif, de l’imperatif, &amp; de l’indicatif, qui sera aussi subjonctif &amp; optatif, moyennant quelques prépositions dont on l’accompagnera au besoin telles que sont <hi rend="i">si, quand, comme, plust à Dieu que</hi>, &amp;c. ne luy laisser que les trois temps principaux, &amp; exprimer les autres, par des Adverbes, comme <hi rend="i">autrefois, dernierement, l’autre jour, recemment</hi>, &amp;c. ny distinguer les Personnes, que par les pronoms personnels comme on fait en nostre Langue, lors qu’on dit, <hi rend="i">j’aime, tu aime, il aime</hi>, &amp; comme on feroit si l’on y disoit <hi rend="i">nous aimons, vous aimons, ils aimons</hi>, &amp; exprimer mesme sans variation le singulier &amp; le pluriel des personnes, &amp; en marquer seulement les nombres par le moyen des mesmes Pronoms personnels, à qui on les attribuëra, comme j’ay dit qu’on les pouvoit attribuer à l’article, pour marquer ceux des Noms.</p>
            <p>On peut enfin à l’imitation de la Langue Franque bannir mesme l’article ; reduire la déclinaison à un seul Cas commun, &amp; la conjuguaison au seul Infinitif, &amp; en representer encore les temps principaux par les Adverbes <hi rend="i">déja, presentement, tantost, hier, aujourd’huy, demain</hi>, &amp;c. &amp; dire comme elle par ex. <hi rend="i">si vous vouloir presentement aimer moy, moy donner aussi tost vous mil écus or</hi>, au lieu de dire, <hi rend="i">si vous me voulez almer, je vous donneray mille écus d’or</hi>.</p>
            <p>Je ne vous propose pas de mettre les conjonctions &amp; les prépositions au rang des Adverbes, comme les Grecs font à l’égard des interjections ; d’unir les participes avec les adjectifs, sous le titre de noms, &amp; de ne compter ainsi que cinq parties du discours ; au lieu de neuf, sçavoir l’article, le pronom, le nom, le verbe &amp; l’adverbe. Cette reduction ne feroit rien à l’abreviation de l’Ecriture ny de la Langue, parce que les Caracteres ny les mots n’en seroient pas en moindre quantité, quoy qu’ils fussent distribuez en moins de Classes, estant tous également nécessaires pour l’expression du discours, &amp; devant par consequent estre distinguez en quelque sorte l’un de l’autre. D’ailleurs j’ay marqué dans mes deux Ecritures, les parties invariables par une barre sur elles, les déclinables par une barre inserée &amp; droite ; &amp; celles qui se conjuguent par une barre inserée &amp; courbe : &amp; c’est avoir reduit toutes les parties du discours en trois Classes au lieu de cinq ; mais il ne s’agit pas de cela, comme je viens de dire.</p>
            <p>Le retranchement des Caracteres &amp; des mots ne peut proceder que des moyens précedens, &amp; je n’en vois point d’autres que ceux que je viens de rapporter. On peut les employer, le champ est libre, l’interprete en échapera. J’ay laissé au choix de l’Ecrivain, dans le cours de mes Lettres, l’usage de la pluspart de ces moyens, &amp; j’en ay expliqué mon sentiment, mais à examiner la chose à fonds, ils sont plûtost à rejetter qu’à mettre en pratique. La nature donne trois genres aux Estres, &amp; les separe ; pourquoy quitter son exemple, &amp; mettre en un, le Masculin &amp; le Neutre ? La raison nous montre que le Verbe a six manieres d’influer sur le nom, &amp; cinq de témoigner son action ; Pourquoy donc confondre les Cas &amp; les Modes qui les distinguent ? Est-ce une affaire à la memoire, d’apprendre trois genres au lieu de deux, six Cas &amp; cinq Modes au lieu d’un plus petit nombre ? Non sans doute, un quart d’heure de plus, est plus de temps qu’il ne faut pour s’instruire pleinement de toutes ces choses.</p>
            <p>On dira peut-estre, que si les mots simples font l’abondance &amp; la richesse des Langues, ils en augmentent aussi la peine, au lieu que les phrases la diminuent ; qu’ainsi sçachant en nostre Langue décliner l’article, on en sçait décliner tous les noms, puis qu’on n’a qu’à placer cét article devant eux, pour en marquer les Cas ; que sçachant quatre ou cinq adverbes de comparaison, on sçait composer tous les comparatifs &amp; tous les superlatifs, puis qu’on n’a qu’à associer ces Adverbes avec les Adjectifs, pour les former ; que sçachant conjuguer le Verbe estre, on sçait conjuguer tous les Verbes passifs, puis qu’on n’a qu’à joindre leur participe passé à cette conjuguaison, pour avoir toutes les autres.</p>
            <p>Je réponds à cela, que je remarque plus d’éclaircissement que de verité, dans l’opinion qu’on a que ces sortes d’usages abregent plus l’instruction d’une Langue, que ceux que j’ay proposez dans mes deux dernieres Lettres. J’y fais décliner tous les Noms, tous les Pronoms, &amp; tous les Participes d’une mesme maniere, puis que je leur donne à tous les mesmes terminaisons, &amp; j’en use ainsi à l’égard des Verbes ; &amp; je maintiens que toutes ces déclinaisons &amp; toutes ces conjuguaisons ne sont pas plus difficiles à retenir, que la déclinaison du seul article, &amp; que la conjuguaison du seul Verbe substantif ; parce qu’on ne sçait pas plûtost décliner un Nom &amp; conjuguer un Verbe, qu’on sçait décliner tous les autres Noms, &amp; conjuguer tous les autres Verbes.</p>
            <p>Il en est de mesme de la composition de degrez de comparaison, de diminution, &amp; d’augmentation. Qui en sçait former un, sçait former tous les autres ; &amp; ces compositions ne sont pas moins aisées que les associations des Adverbes pour leurs expressions. C’est le fruit &amp; l’avantage des régles genérales, &amp; des régles d’équité, que j’ay suivies par tout le plus exactement qu’il m’a esté possible. L’un revient donc à l’autre, mais ce qui résulte de mon usage me semble bien important ; c’est qu’il me fait exprimer les choses par la simplicité des mots, au lieu qu’on tombe presque à tout moment par l’autre maniere dans l’embarras des phrases ; car enfin je ne croy pas m’être trompé d’avoir préferé jusqu’icy les mots simples aux phrases, &amp; par ex. l’<hi rend="i">Urbs Roma</hi> des Latins, à <hi rend="i">la Ville de Rome</hi> des François ; l’<hi rend="i">amatur</hi>, à <hi rend="i">il est aimé</hi> ; le <hi rend="i">deambulavimus</hi>, à <hi rend="i">nous nous sommes promenez</hi> ; le <hi rend="i">doctior illo</hi>, à <hi rend="i">plus sçavant que luy</hi>, &amp;c. Je me suis fondé sur l’exemple de la nature, qui n’employe jamais les lignes courbes, lors qu’elle peut venir à ses fins, par les lignes droites ; &amp; sur la Sentence des Sages, qui témoignent qu’en vain on fait avec beaucoup, ce qu’on peut faire avec peu. Ces raisons m’ont sceu persuader qu’il falloit éviter les détours &amp; les longueurs dans l’Ecriture &amp; dans la Langue universelle, autant qu’il estoit possible.</p>
            <p>On dira peut-estre encore, que l’Article, le Verbe substantif, les Adverbes, les comparatifs, &amp;c. desquels se forment les petites phrases ou constructions allongées, sont des marques qui aident à juger de ce qui les suit ; mais j’ay à répondre que les terminaisons, ou les Chiffres auxiliaires de mes Caracteres, sont des signes qui aident aussi à juger de ce qui les précede, &amp; qu’ainsi l’un revient encore à l’autre ; si bien que le mot simple estant plus au goust de la nature &amp; de la sagesse que la phrase, il est ce me semble à préferer à elle dans cette occasion. Mais encore une fois, j’en laisse le champ libre, comme je l’ay laissé dans tout le cours de mes lettres, en y donnant aux Nations le choix de toutes ces differentes manieres de s’exprimer ; je ne prétens les obliger qu’à ce qu’elles trouveront de plus commode ; une élocution allongée, quoy qu’ennuyeuse, ne laisse pas d’estre intelligible. La concordance est arbitraire, &amp; bien que le defaut de ses agréables rapports oste beaucoup de la grace &amp; de la perfection du stile, il ne luy fait pas perdre toute sa clarté. Le soin nécessaire est de prendre garde seulement qu’il ne se glisse point d’équivoque dans cét usage : La barbarie se peut souffrir, mais l’équivoque est insupportable ; elle rend le sens propre à décevoir, &amp; le met quelquefois hors d’intelligence.</p>
            <p>Voila, Monsieur, ce que je pense des moyens d’abréviation. Pour peu que vous les examiniez, vous jugerez avec moy, qu’ils sont plus propres à ébloüir, comme j’ay dit, qu’à servir ; &amp; que le meilleur party est de s’en tenir aux bornes que j’ay données à l’Ecriture universelle dans mes deux dernieres Lettres, sans y innover aucune chose.</p>
            <p>Je n’aurois plus rien à vous dire de cette Ecriture, sans la singularité que je luy ay attribuée, dans ma Lettre de vostre 14. Extraord. p. 345. où j’ay avancé <hi rend="i">qu’elle n’étoit pas sujette à équivoque, &amp; que mesme on ne luy en causeroit pas, quand on en figureroit les Caracteres sans separation, tant ils estoient aisez à démesler</hi>. Vous sçavez, Monsieur, que par ce mot de <hi rend="i">Caractere</hi>, je n’entens pas un Chiffre seul ; mais un Chiffre ou plusieurs avec une enseigne, comme je l’ay expliqué dans ma Lettre de vostre 19. Extraord. p. 323 &amp; c’est de la maniere dont cette enseigne est faite, &amp; de l’endroit où elle est mise, que résulte ce facile démeslement. Il vous sera aise de reconnoistre cette verité, sans que je m’étende dans son explication ; &amp; le début du Texte sacré que j’ay exprimé par l’une &amp; par l’autre de mes Ecritures, servira à vous la montrer, sans que je m’en mesle, pour peu que vous preniez garde aux principes que j’ay établis en parlant de l’enseigne. D’autres Thémes vous produiront aussi cette connoissance, si vous vous donnez la peine d’en faire, &amp; je vous demanderois volontiers quelques momens d’application pour cela, afin que vous vissiez en mesme temps la grace &amp; la facilité de ces Ecritures, dans leur pratique.</p>
            <p>Je m’estois persuadé jusqu’à present, qu’on donnoit à nos Chiffres ordinaires le nom d’<hi rend="i">Arabiques</hi>, à cause qu’ils devoient leur origine à l’industrie des Arabes ; mais je viens d’estre desabusé de cette opinion, par un de mes bons Amis de Paris, tres éclairé en toutes sortes de Sciences. Il me mande que ces Peuples qui habitent le milieu de l’ancien monde, n’ont fait que communiquer les Figures, &amp; la maniere de les employer à l’Occident ; &amp; qu’ils ne sont tirées de l’Orient, non pas de la Chine, mais des Indes où elles ont esté inventées ; &amp; que pour cette raison les Turcs, les Perses, &amp; les autres Orientaux appellent ces Chiffres, <hi rend="i">Chiffres Indiens</hi>. Il ajoûte qu’à la verité, il y a un peu de difference entre quelques-unes de leurs Figures, &amp; quelques-unes de celles dont nous nous servons, toutesfois si peu considerable, qu’on voit bien que les nostres sont issuës des leurs, &amp; qu’au reste la maniere de les employer est toute semblable. Il me cite là dessus, outre les Relations Orientales, un Autheur Anglois nommé Breveredge, dont son Livre imprimé à Londres en 1669. intitulé <hi rend="i">Institutionum Chronologicarum libri duo, unà cum totidem Arithmetices Chronoligicæ libellis</hi>. Cette origine de nos Chiffres est encore un grand avantage pour une Ecriture qui est fondée sur eux, &amp; il n’y a pas lieu de douter qu’estant venus des Indes jusqu’à nous, ils n’ayent aussi passé jusqu’à la Chine, &amp; aux autres Etats les plus avancez dans l’Orient. Grand acheminement pour y faire recevoir la nouvelle signification que j’ay entrepris de leur donner, pour la communication des Nations, &amp; pour la commodité du Commerce. Car enfin, Monsieur, le grand &amp; le facile service qu’on en peut tirer, doit faire avoüer aux plus opiniâtres, que les Peuples qui écrivent à la Chinoise, &amp; les Chinois mesmes qui font tant les sages, ne le seroient gueres s’ils en avoient la connoissance, &amp; qu’ils en refusassent l’usage. Je prierois volontiers, par vostre entremise, le sçavant M<hi rend="sup">r</hi> Comiers d’en faire l’ouverture au jeune Chinois, qui est le sujet de sa Lettre inserée dans vostre Mercure de Septembre dernier, si cét Etranger est encore à Paris, comme il y a lieu de le juger, par le temps qu’il faut pour voir les beautez de cette incomparable Ville, qui seroit sans doute plus grande que les deux Capitales de son Pays, si les Maisons qu’elle peuple avoient leurs étages à leurs côtez, au lieu de les avoir l’un sur l’autre comme elles.</p>
            <p>La façon d’écrire de ceux qui parlent la Langue Latine, la Grecque, la Teutonique, &amp; l’Esclavone, quatre Langues Meres qui ont pour Filles toutes les Langues de l’Europe, excepté la Turque, est de conduire leur Plume du costé gauche au costé droit ; celle des Hebreux, &amp; de leurs branches est de la mener du costé droit au costé gauche, &amp; celle des Chinois est de la tirer du haut en bas. Peut-estre que d’autres Peuples la font aller de bas en haut, tant l’art aussi bien que la nature se plaist à la diversité. Mes deux sortes d’Ecriture se peuvent marquer de toutes ces manieres, sans aucun desordre ; &amp; la situation de leurs Caracteres leur est indifferente. Il est vray qu’à y bien penser, cét avantage est commun à toute autre Ecriture ou Langue, puis qu’il ne dépend que du caprice des Ecrivains.</p>
            <p>Ce qui est à souhaiter pour l’employ des miennes, c’est qu’il se trouve quelque Personne assez charitable envers le Public, pour vouloir bien prendre la peine d’en mettre les deux Dictionnaires universels dans toutes leurs étenduës, afin que les Nations n’ayant plus qu’à dresser leurs Dictionnaires particuliers sur l’un ou sur l’autre de ces universels à leur choix, elles soient excitées à y travailler, &amp; à s’en servir. Il me suffit d’en avoir tracé le plan, il faut laisser quelque chose à faire aux autres, comme dit Sorel, dans l’endroit de sa Science universelle, où il traite de ce grand secret. L’utilité de l’Ouvrage y doit porter les interessez dans le Commerce, &amp; la Chambre Royale qui prend tant de soin d’étendre le nostre par toute la terre, peut l’ordonner à quelqu’un d’eux, avec la récompense qui luy en sera deuë.</p>
            <p>Vous concevez assez, Monsieur, l’avantage que les Peuples en tireroient, sans que je m’en explique.</p>
            <p>Je serois pourtant bien aise de sçavoir de vous, qui de l’Ecriture universelle, ou de la Langue de mesme nature, vous sembleroit d’un plus grand service pour les Nations ? Je vous ay découvert toutes mes pensées sur le premier moyen de communication, reste à vous entretenir du second. Le Quartier d’Octobre ne se passera pas que je n’aye cét honneur. Je m’y engage, &amp; je suis vostre, &amp;c.</p>
            <p><hi rend="sc">de Vienne Plancy</hi>.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_232" resp="wordpro">
          <head>Sentimens sur toutes les Questions du XXVII. Extraordinaire, par Mr de la Fevrerie</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 232-241</bibl>
          <quote>
            <label>SENTIMENS<lb/>SUR TOUTES LES QUESTIONS<lb/>DU XXVII.<lb/><hi rend="sc">Extraordinaire.</hi></label>
            <quote>
              <label>Si un Mary qui découvre que la Personne qu’il a épousée, estoit prévenuë de passion pour un autre en l’épousant, a plus sujet de se plaindre d’elle, qu’un autre Mary n’en a de se plaindre de sa Femme, lors qu’il s’apperçoit que depuis son mariage elle est devenuë sensible aux soins d’un Amant.</label>
              <lg>
                <l rend="i">Par les termes exprés de cette Question.</l>
                <l rend="i"> Je conclus que le mariage</l>
                <l rend="i"> Malgré toute précaution,</l>
                <l rend="i"> Est un dangereux esclavage,</l>
                <l rend="i"> Et bien sujet à caution.</l>
              </lg>
              <ab type="ornament">***</ab>
              <lg>
                <l rend="i"> C’est un malheur inévitable,</l>
                <l rend="i"> Tost ou tard, une Femme aimable</l>
                <l rend="i">Trouve quelque plaisir à s’en faire conter ;</l>
                <l rend="i">Et le joug qu’un Galant nous aide à supporter ;</l>
                <l rend="i"> Devient un joug insupportable.</l>
              </lg>
              <ab type="ornament">***</ab>
              <lg>
                <l rend="i">Mais je ne sçay lequel est le plus malheureux,</l>
                <l rend="i">De celuy qui découvre en épousant sa Femme,</l>
                <l rend="i">Qu’avec un autre Amant elle avoit dans son ame,</l>
                <l rend="i"> Un engagement amoureux :</l>
                <l rend="i">Où celuy qui depuis, voit sa Femme infidelle</l>
                <l rend="i"> Malgré l’amour qu’il a pour elle,</l>
                <l rend="i">Abandonner son cœur à d’impudiques feux.</l>
              </lg>
              <ab type="ornament">***</ab>
              <lg>
                <l rend="i"> Cependant quand je considere</l>
                <l rend="i"> De ces deux Maris, la misere,</l>
                <l rend="i"> Avec un peu d’attention :</l>
                <l rend="i">Je trouve du second, le destin ordinaire,</l>
                <l rend="i">Et j’ay pour le premier, plus de compassion.</l>
              </lg>
              <ab type="ornament">***</ab>
              <lg>
                <l rend="i"> Tous deux ont sujet de se plaindre,</l>
                <l rend="i">Mais ils avoient tous deux également à craindre :</l>
                <l rend="i">Epouser une Belle &amp; qui n’eust point aimé,</l>
                <l rend="i"> Ne seroit-ce pas un miracle ?</l>
                <l rend="i">Et dans le Sacrement un cœur accoûtumé</l>
                <l rend="i">Peut-il à son amour trouver un grand obstacle ?</l>
              </lg>
            </quote>
            <quote>
              <label>Lequel est le plus facile de n’avoir jamais d’amour, ou de n’en avoir qu’une seule fois en toute sa vie.</label>
              <lg>
                <l rend="i">Il est rare, belle Sylvie,</l>
                <l rend="i">De n’avoir jamais dans la vie ;</l>
                <l rend="i">Mais lors que de l’amour on a suby les loix</l>
                <l rend="i">Il est plus rare encor de n’aimer qu’une fois.</l>
              </lg>
              <ab type="ornament">***</ab>
              <lg>
                <l rend="i">A vous voir obstinée à ne jamais aimer,</l>
                <l rend="i"> Peut estre osez-vous présumer,</l>
                <l rend="i">De pouvoir aisément éviter dans la vie,</l>
                <l rend="i"> L’amour &amp; ses plus douces loix :</l>
                <l rend="i"> Mais apprenez, belle Sylvie,</l>
                <l rend="i">Que l’on est obligé d’aimer tous une fois.</l>
              </lg>
              <ab type="ornament">***</ab>
              <lg>
                <l rend="i"> Quand de ce Dieu la tendre violence</l>
                <l rend="i"> Vous soumettra sous sa puissance ;</l>
                <l rend="i"> Quand le moment sera venu,</l>
                <l rend="i"> Moment qui vous est inconnu,</l>
                <l rend="i"> Mais qui vient sans que l’on y pense ;</l>
                <l rend="i">Ne croyez pas d’amour suivre les douces loix</l>
                <l rend="i"> Une seule fois dans la vie ;</l>
                <l rend="i"> Car apprenez, belle Sylvie,</l>
                <l rend="i">Qu’on peut toûjours aimer quand on aime une fois.</l>
              </lg>
            </quote>
            <quote>
              <label>S’il est plus cruel de ne pouvoir réüssir à se faire aimer d’une Personne, pour qui on sent une tres-forte inclination, que de la voir infidele aprés qu’on en a receu les plus engageantes marques d’amour.</label>
              <lg>
                <l rend="i">Tu sçais, mon cher Damon, si quelqu’autre que moy,</l>
                <l rend="i">Doit plus se récrier sur un manque de foy.</l>
                <l rend="i">J’aimois, j’estois aimé d’une jeune Bergere,</l>
                <l rend="i">Dont je croyois le cœur &amp; fidelle &amp; sincere.</l>
                <l rend="i">Cependant la volage aprés mille sermens,</l>
                <l rend="i">M’abandonne, me fuit, cherche d’autres Amans,</l>
                <l rend="i">La constance est pour elle une chose inconnuë,</l>
                <l rend="i">Et d’un nouvel amour son ame est prévenuë,</l>
                <l rend="i">Oüy, je n’en puis douter ; un rival trop heureux,</l>
                <l rend="i">Joüit en liberté de l’objet de mes vœux,</l>
                <l rend="i">Et moy, mon cher Damon, je n’ay de ma constance,</l>
                <l rend="i">Que le triste regret pour toute recompense.</l>
                <l rend="i">Elle avoit, je l’avouë, écouté mes soupirs,</l>
                <l rend="i">Et de quelques faveurs contenté mes desirs ;</l>
                <l rend="i">Mais c’est en cela mesme où je suis plus à plaindre,</l>
                <l rend="i">Lors que de mon amour je n’avois rien à craindre,</l>
                <l rend="i">Que tout me répondoit de sa fidelité,</l>
                <l rend="i">L’ingrate me trahit ; qui s’en seroit douté ?</l>
                <l rend="i">Toy-mesme qui connois jusqu’où va d’une Femme,</l>
                <l rend="i">Le changement d’humeur, l’inégalité d’ame ;</l>
                <l rend="i">Tu m’as dit mille fois, ravy de mon bonheur,</l>
                <l rend="i">Que je serois toûjours le maistre de son cœur.</l>
                <l rend="i">Cependant aujourd’huy tu vois bien le contraire :</l>
                <l rend="i">Juge de ma douleur, juge de ma colere.</l>
                <l rend="i">Et tu confesseras qu’un pareil traitement,</l>
                <l rend="i">Est le plus grand des maux que l’on souffre en aimant.</l>
              </lg>

          </quote>
          <quote>
            <label>QU’ELLE EST L’ORIGINE<lb/><hi rend="sc">des Tombeaux.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Pour l’origine des Tombeaux,</l>
              <l rend="i">Superbes, magnifiques, beaux,</l>
              <l rend="i">Et tels que les Histoires Grecques,</l>
              <l rend="i">Disent qu’on dressoit aux Obséques</l>
              <l rend="i">Des Heros de l’antiquité ;</l>
              <l rend="i">Les Egyptiens ont esté</l>
              <l rend="i">Les premiers qui par la structure</l>
              <l rend="i">D’une superbe architecture,</l>
              <l rend="i">Bâtirent magnifiquement,</l>
              <l rend="i">A leurs Défunts un monument.</l>
              <l rend="i">En des lieux secs &amp; non humides.</l>
              <l rend="i">Dans l’Egypte on voit Pyramides</l>
              <l rend="i">Obelisques, Arcs triomphaux,</l>
              <l rend="i">Et tout cela sont des Tombeaux.</l>
              <l rend="i">On voit aussi dans la Judée,</l>
              <l rend="i">La Palestine, &amp; l’Idumée,</l>
              <l rend="i">Des Sepulchres tres somptueux,</l>
              <l rend="i">Où sont enterrez les Hebreux,</l>
              <l rend="i">Car ce Peuple à dure cervelle,</l>
              <l>(<hi rend="i">C’est ainsi que le Juif s’appelle,</hi></l>
              <l><hi rend="i">Chez son fameux Legislateur</hi>)</l>
              <l rend="i">Portoit aux Morts un grand honneur,</l>
              <l rend="i">Mais l’honneur de la Sépulture,</l>
              <l rend="i">Estoit dans la Loy de Nature,</l>
              <l rend="i">Pratiqué bien auparavant,</l>
              <l rend="i">Par tous les Peuples du Levant.</l>
              <l rend="i">Puis qu’Abraham sur son vieil âge,</l>
              <l rend="i">Voulut avoir en heritage,</l>
              <l rend="i">Pour luy, sa Femme, &amp; tous les siens,</l>
              <l rend="i">Un Tombeau chez les Héthiens,</l>
              <l rend="i">Lesquels avoient, dit l’Ecriture,</l>
              <l rend="i">Un grand soin de la Sépulture,</l>
              <l rend="i">De tous ceux de leur Nation :</l>
              <l rend="i">Chacun dans sa condition,</l>
              <l rend="i">Avoit un Tombeau domestique,</l>
              <l rend="i">L’un superbe, l’autre rustique ;</l>
              <l rend="i">Mais tous ces divers Monumens,</l>
              <l rend="i">Ne manquoient jamais d’ornemens.</l>
              <l rend="i">Abraham donc à leur exemple,</l>
              <l rend="i">Triste, menant un deüil tres ample,</l>
              <l rend="i">De sa chere Epouse Sara,</l>
              <l rend="i">Pour l’enterrer leur demanda,</l>
              <l rend="i">Non pas comme une récompense,</l>
              <l rend="i">Mais moyennant grosse finance,</l>
              <l rend="i">Pour ce temps-là, cela s’entend,</l>
              <l rend="i">Qu’il leur délivra tout comptant :</l>
              <l rend="i">Leur demanda, dis-je, une place,</l>
              <l rend="i">Pour inhumer toute sa race,</l>
              <l rend="i">Dans un certain Champ retiré,</l>
              <l rend="i">Qui regardoit devers Membré.</l>
              <l rend="i">Mais ce Peuple à cette semonce,</l>
              <l rend="i">Luy fit une honneste réponse.</l>
              <l rend="i">Pronez, dit-il, de nos Tombeaux</l>
              <l rend="i">Les plus exquis, &amp; les plus beaux ;</l>
              <l rend="i">Il n’est aucun qui ne se fasse</l>
              <l rend="i">Un grand honneur de cette grace.</l>
              <l rend="i">Abraham pour ce compliment,</l>
              <l rend="i">Ne changea point de sentiment.</l>
              <l rend="i">Demandant toûjours la Caverne,</l>
              <l rend="i">Le Champ, avec que la Citerne</l>
              <l rend="i">Qui regardoit devers Membré.</l>
              <l rend="i">Ainsi qu’il l’avoit desiré,</l>
              <l rend="i">La chose luy fut accordée.</l>
              <l rend="i">Et depuis, toute sa lignée</l>
              <l rend="i">Y prit un éternel repos.</l>
              <l rend="i">Jusque là mesme que les os</l>
              <l rend="i">De Jacob, avec grande suite,</l>
              <l rend="i">Y furent apportez d’Egypte ;</l>
              <l rend="i">Selon qu’il l’avoit souhaité,</l>
              <l rend="i">Par sa derniere volonté ;</l>
              <l rend="i">D’où je conclus par cette Histoire,</l>
              <l rend="i">Qui m’est venuë en la mémoire.</l>
              <l rend="i">Que les Peuples Orientaux</l>
              <l rend="i">Ont eu des premiers des Tombeaux ;</l>
              <l rend="i">Et qu’en suite cette coûtume,</l>
              <l rend="i">Est passée en plus gros volume,</l>
              <l rend="i">Chez les Grecs, &amp; chez les Romains,</l>
              <l rend="i">Et de là chez tous les Humains,</l>
            </lg>
            <p><hi rend="sc">de la Fevrerie</hi>.</p>
          </quote>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_253" resp="wordpro">
          <head>Eloge du Grand Corneille à Monsieur l’Abbé des Viviers Aumosniers [par Mr de La Fevrerie]</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 253-285</bibl>
          <quote>
            <label>ELOGE<lb/>DU GRAND CORNEILLE<lb/><hi rend="sc">a Monsieur l’Abbé</hi><lb/>DES VIVIERS AUMOSNIER<lb/>du Roy, Chanoine de Constance, Protonotaire du Saint Siege.</label>
            <p/>
            <p>Je voy bien, Monsieur, que vous m’écrivez, non seulement pour m’apprendre la mort de l’incomparable Monsieur Corneille, mais encore pour m’engager à faire son Oraison Funébre, comme si un Panégyrique de ma façon, pouvoit contribuer quelque chose à sa mémoire ; mais enfin il ne tiendra pas à vous, &amp; à moy, que tout le monde ne l’admire, &amp; que ses Envieux, &amp; ses Ennemis, ne soient contraints de reconnoistre son merite. Mélons donc nos larmes avec celles du Parnasse, &amp; de tous les beaux esprits qui pleurent la mort de cet Illustre, ou plûtost mêlons nos voix parmy celles de toute la France, qui chante si hautement ses loüanges. Que dis-je, toute la France ? Rome &amp; l’Italie entiere ne luy refuseront pas à sa mort, des applaudissemens qu’elles luy accorderent pendant sa vie, lors qu’un grand Pape en fit les éloges ; car enfin, Monsieur, qui n’est pas convaincu du prix &amp; de l’excellence de l’admirable Corneille ? Et ne pouvons-nous pas dire de luy, ce que Virgile a dit autrefois de son Heros, ou du moins de son Daphnis ?</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Hinc usque ad sydera notus.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Le plus excellent Critique de nostre Siecle, &amp; qu’on pourroit justement appeller le Génie de la Satyre, a reconnu le merite de ce grand Homme. Il a remarqué des défauts dans les plus celébré-Autheurs ; il a fait la guerre genéralement à tous nos Poëtes, &amp; par sa delicatesse, &amp; par son discernement, il les a presque tous mis au desespoir. Cependant il a toûjours excepté de sa censure l’Illustre M<hi rend="sup">r</hi> Corneille, &amp; mesme il l’a toûjours proposé comme un grand Maistre de l’Art ; digne de l’immortalité, &amp; de la donner aux autres. Voicy comme il en parle au Roy.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Et parmy tant d’Autheurs, je veux bien l’avoüer,</l>
                <l rend="i">Apollon en connoist qui te peuvent loüer.</l>
                <l rend="i">Oüy, je sçay qu’entre ceux qui t’adressent leurs veilles,</l>
                <l rend="i">Parmy les Pelletiers, on compte des Corneilles.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Et dans sa Poëtique, où il désigne quatre Poëtes qui doivent travailler à la gloire &amp; au divertissement du Roy.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Que Corneille pour toy rallumant son audace,</l>
                <l rend="i">Soit encor le Corneille, &amp; du Cid &amp; d’Horace.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Il sembleroit d’abord que M. Despreaux seroit du sentiment de ceux dont M. Corneille se plaint dans cette belle Epistre qu’il adressa au Roy, il y a quelques années.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">J’affoiblis, ou du moins ils se le persuadent.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Et qu’il n’a rien fait depuis Horace &amp; le Cid, de la force de ces deux Pieces ; mais si l’on y fait un peu de reflexion, on verra que M. Boisleau est d’un sentiment tout contraire. Il luy trouve encore la mesme vigueur, &amp; le juge capable plus que jamais de travailler au divertissement du plus grand Roy du monde. Ce feu estoit encore sous la cendre, il n’estoit pas encore éteint, il n’estoit seulement qu’assoupy, &amp; on le voyoit avec le mesme éclat &amp; la mesme ardeur quand il en estoit besoin. Est-ce qu’il ne paroissoit pas dans Sertorius, dans Oedipe &amp; dans Rhodogune ? Est-ce que ces Ouvrages estoient sans force &amp; languissans, &amp; que luy mesme ait eu raison de dire au Roy ?</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Ce sont des malheureux étouffez au Berceau,</l>
                <l rend="i">Qu’un seul de tes regards peut tirer du Tombeau.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Non, non, M. Corneille a toûjours eu le mesme feu &amp; de mesme génie que dans Horace &amp; dans le Cid. Les regards de sa Majesté pouvoient, je l’avoüe, donner un nouveau lustre à ses Pieces ; mais elles meritoient bien aussi ses regards favorables ; car il n’y en a aucune qui manque de grace &amp; de beauté, &amp; il a pû dire hardiment de ses Ouvrages.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Acheve, les derniers n’ont rien qui dégenére,</l>
                <l rend="i">Rien qui les fasse croire enfans d’un autre pere.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Il faut donc avouer que M. Corneille n’a point vieilly, &amp; n’a point dégeneré. Cependant l’Autheur des Nouvelles nouvelles, dit qu’il a pris un vol si haut, que l’âge l’oblige malgré luy de descendre. Si cét Autheur a dit cela en parlant de Sophonisbe, qu’a-t’il pû dire depuis ? Mais enfin si les Pieces du grand Corneille n’ont pas toutes la mesme vigueur, &amp; la mesme beauté, est-ce une raison de l’accuser de vieillesse, &amp; de s’écrier soy-mesme ?</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Pour bien écrire encor j’ay trop longtemps écrit,</l>
                <l rend="i">Et les rides du front passent jusqu’à l’esprit.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Les Poëtes ont cela de commun avec les belles Femmes, qu’il n’y a rien qu’ils apprehendent tant que de vieillir, ou du moins de paroistre vieux ; &amp; pour ce sujet, ils font à leurs écrits, tout ce que les autres font à leurs visages. Il semble que les Muses leur ayent inspiré cette inclination. Comme elles sont toûjours vierges &amp; belles, ils voudroient estre toujours jeunes &amp; vigoureux. Il n’y a rien qu’ils ne fassent pour conserver cét agrément, &amp; cette fleur de jeunesse qui fait tout l’éclat, &amp; tout le brillant de leurs Ouvrages. Horace estoit de ce sentiment ; il ne souhaitoit ny les honneurs, ny les richesses ; il se contentoit d’une vie frugale &amp; tranquille. Mais il demandoit au grand Apollon, d’estre toûjours cét Horace agréable &amp; charmant, cét Horace plein d’esprit &amp; de feu, cét Horace les délices de Mecenas &amp; d’Auguste.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Frui paratis &amp; valido mihi</l>
                <l rend="i">Latoe dones, &amp; precor integra</l>
                <l rend="i">Cum mente : nec turpem senectam</l>
                <l rend="i">Degere, nec cythara carentem.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Vous voyez comme il apprehende la vieillesse, &amp; qu’il l’appelle la honte &amp; l’infamie des Poëtes. Un Commentateur d’Horace, dit sur ces paroles, <hi rend="i">Nec turpem Senectam. Non delirentem, vel inhonoratam senectutem, sed laudabilem, &amp; jucundam</hi>. En effet, Horace &amp; tous les Poëtes doivent craindre ces deux choses. Le bon sens &amp; la faveur ne les accompagnent pas toujours. L’oseray-je dire, en vous parlant de M. Corneille ? Les Poëtes ont un grand panchant à la folie, &amp; le déclin de leur âge est bien souvent le déclin de leur fortune. Il faut donc sacrifier à Apollon, pour obtenir comme Horace cette vieillesse agréable &amp; glorieuse tout ensemble.</p>
            <p>Mais les vœux de Virgile sont à mon gré bien plus nobles, &amp; bien plus genéreux. Horace ne cherche icy que sa satisfaction particuliere. Il ne demande que le plaisir &amp; la joye ; &amp; il craint autant que sa vieillesse ne soit privée de la Musique, que de l’honneur &amp; de la gloire. Il ne demande pas une longue vie, ny une vieillesse heureuse pour loüer Auguste, &amp; Mecenas ; mais seulement pour vivre long-temps, &amp; pour vivre agréablement. Virgile au contraire ne souhaite de longues années &amp; d’heureux jours, que pour loüer dignement Pollion, &amp; pour chanter sa gloire.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">O mihi tam longe maneat pars ultima vitæ,</l>
                <l rend="i">Spiritus, &amp; quantum sat erit tua dicere fata.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>M. Corneille fait les mêmes souhaits, &amp; il est bien plus fasché d’être vieux, que de ce qu’on croit qu’il a vieilly. Cependant il consacre au Roy ce qui luy reste de vie, &amp; veut finir comme il a commencé, en travaillant toujours à la gloire de son Prince ; mais il veut que le Roy profite du temps, &amp; se haste de luy commander quelque chose. Car</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">L’offre n’est pas bien grande, &amp; le moindre moment,</l>
                <l rend="i">Peut dispenser mes vœux de l’accomplissement.</l>
                <l rend="i">Préviens ce dur moment par des ordres propices,</l>
                <l rend="i">Compte tous mes desirs pour autant de services.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Et la raison qui l’oblige à parler de la sorte, c’est que</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Ces illustres bien-tost n’auront plus rien à craindre,</l>
                <l rend="i">C’est le dernier éclat d’un feu prest à s’éteindre,</l>
                <l rend="i">Sur le point d’expirer il tâche d’ébloüir,</l>
                <l rend="i">Et ne frappe les yeux que pour s’évanoüir.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Ou comme il a dit ailleurs :</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Qui prest à succomber sous la mort qui l’atteint,</l>
                <l rend="i">Jette un plus vif éclat, &amp; tout d’un coup s’éteint.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Mais, Monsieur, ce qui faisoit sa crainte, n’estoit pas la perte d’une si belle vie, de cette vie de l’esprit qui le rendra immortel à la Posterité, &amp; dont les derniers momens ont jetté tant d’éclat &amp; de lumieres ; il l’a toujours possedée sans interruption &amp; sans foiblesse, &amp; il pouvoit dire aussi justement que Malherbe.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Je suis vaincu du temps, je cede à ses outrages,</l>
                <l rend="i">Mon esprit seulement exempt de sa rigueur,</l>
                <l rend="i">A dequoy témoigner en ses derniers Ouvrages,</l>
                <l rend="i"> Sa premiere vigueur.</l>
                <l rend="i">Les puissantes faveurs dont Parnasse m’honore,</l>
                <l rend="i">Non loin de mon Berceau commencerent leur cours,</l>
                <l rend="i">Je les posseday jeune, &amp; les possede encore,</l>
                <l rend="i"> A la fin de mes jours.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Il n’y avoit que les foiblesses du corps, qui pouvoient allarmer M<hi rend="sup">r</hi> Corneille, &amp; luy faire dire en parlant de Sophocle.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Je n’iray pas si loin, &amp; si mes quinze lustres,</l>
                <l rend="i">Font encor quelque peine aux Modernes illustres.</l>
                <l rend="i">S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner,</l>
                <l rend="i">Je n’auray pas long-temps à les importuner.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Cependant un peu de jalousie semble se mêler à sa vieillesse, &amp; luy faire regarder la reputation de nos jeunes Poëtes, avec quelque sorte d’émulation ; mais pouvoit-il estre fâché de voir briller ses Disciples de l’éclat de ses rayons, &amp; qu’ils empruntassent quelques lumieres de cette gloire qui l’environnoit ? N’étoit-il point assez remply de cette éclatante renommée qu’il s’étoit acquise, &amp; que personne ne luy avoit disputée ? Il est vray que l’honneur est quelque chose de plus cher, &amp; de plus prétieux que la vie. Il est vray que la vieillesse est ordinairement avare, mais quelqu’un a-t-il pillé ou critiqué ses Ouvrages ? On les suit, on les imite, en cela seulement où ils ne sont pas inimitables ; car c’est encore un avantage qui luy est particulier. Il a ouvert la Carriere, mais qui a pû courre avec luy ? Y a t-il encor quelque chose à remporter au delà du prix qui luy estoit deu ? Nos Poëtes modernes ont prétendu seulement envisager le but qu’il avoit touché, &amp; de quelques loüanges qu’ils soient dignes, &amp; quelques récompenses qu’ils reçoivent de la Posterité, le grand Corneille aura toûjours l’avantage de les avoir devancez en gloire aussi bien qu’en mérite.</p>
            <p>Pour moy, s’il m’est permis de dire mon sentiment des Ouvrages de M<hi rend="sup">r</hi> Corneille, je trouve que trois choses l’ont mis au dessus de tous les Autheurs qui ont paru en ce genre d’écrire ; &amp; ces trois choses l’ont rendu avec justice digne de la reputation &amp; de l’immortalité qu’il s’est acquise. Personne n’a mieux appliqué ce qu’il a pris des Anciens que luy. Personne n’a mieux entendu le Théeatre que luy. Personne enfin n’a écrit en ce genre, d’une maniere plus solide &amp; plus durable. Voila, Monsieur, de la maniere que je comprens le grand Corneille, &amp; ce qui fait à mon avis, qu’on luy a donné tant de loüanges.</p>
            <p>Si le Théatre doit en France toute sa gloire &amp; tout son appuy au grand Cardinal de Richelieu, il doit toute sa beauté, &amp; tous ses ornemens à l’incomparable Corneille. Comme avant ce Cardinal Théatre estoit peu de chose, le avant ce Poëte la Comédie avoit peu d’estime. Les Pieces de Théatre n’estoient que de grossieres ébauches aussi imparfaites que le Théatre mesme. Celuy icy n’avoit point de Loix, celles-là n’avoient point de Regles ; mais ce grand Ministre faisant son divertissement de la Comédie, la Scene vit alors le plus grand changement qui eut jamais paru sur le Théatre. La pudeur, l’honnesteté, la bien-séance en chasserent l’effronterie, l’impudence &amp; le libertinage. Enfin la presence du Cardinal ne purifia pas seulement le Théatre, il devint une étude aussi bien qu’un lieu de divertissement. Mais de tous les Poëtes qui travaillerent à ce grand Ouvrage, M<hi rend="sup">r</hi> Corneille fut celuy qui remplit mieux l’idée que ce Ministre en avoit conceuë. En effet qui a porté plus loin que luy l’excellence &amp; la majesté du Poëme Dramatique ? Qui en a mieux connu les régles ? Qui a eu plus de lumieres sur ce sujet ? Il a réprimé cette colere impétueuse, &amp; cét amour licentieux qui faisoient l’horreur &amp; la corruption de la Scene. Il en a moderé toutes les passions, &amp; a joint l’utile, &amp; l’agréable dans ces passions. Il a suivy les régles avec exactitude, mais il s’en est détaché avec prudence, &amp; je ne sçay s’il est plus admirable, lors qu’il les suit, que lors qu’il s’en éloigne. Lors qu’il les observe, il suit Aristote, Horace &amp; l’antiquité qui souvent n’est pas sans defauts, &amp; qui s’oppose presque toûjours à nos mœurs, &amp; à nostre temps ; mais lors qu’il s’en écarte, c’est un grand génie qui sçait ce qui nous plaist, &amp; ce qui nous déplaist ; &amp; pour lors les regles qu’il tire de cette connoissance, bien qu’opposées à celles d’Aristote, sont pourtant les plus seures &amp; les plus infaillibles.</p>
            <p>Quelques-uns jaloux de la gloire de M<hi rend="sup">r</hi> Corneille, n’ont pû souffrir qu’il ait porté la connoissance du Théatre, plus loin que la Poëtique d’Aristote. Ils ont critiqué ses Pieces, &amp; ont voulu que les regles condamnassent un de ses Ouvrages, qui avoit réüssi sans les regles. On dit mesme que le grand Cardinal estoit de la partie ; mais les beaux Ouvrages sont non seulement au dessus des regles, ils sont encore au dessus de la suffisance &amp; de l’authorité.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">En vain contre le Cid un Ministre se ligue,</l>
                <l rend="i">Tout Paris pour Chimene a les yeux de Rodrigue.</l>
                <l rend="i">L’Academie en Corps a beau le censurer,</l>
                <l rend="i">Le Public révolté s’obstine à l’admirer.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Le Cid sera donc toûjours une preuve immortelle de l’excellent génie de M<hi rend="sup">r</hi> Corneille. Mairet, des Marets, Scudery, &amp; tant d’autres ont travaillé comme luy au Poëme Dramatique, mais qu’ont-ils fait devant ou aprés le Cid, qui approche du merite de cette Piece ? Scudery, tout appuyé qu’il estoit d’Aristote, &amp; du grand Cardinal qui faisoit la fortune &amp; la destinée des Ouvrages de son temps, n’a jamais pû faire en faveur de l’Amour Tirannique, ce que le Public a fait pour le Cid. Mais si l’Illustre Corneille a triomphé en dépit d’Aristote, quels avantages n’a-il point eus lors qu’il a suivy cét excellent Maistre de l’Art Poëtique ? Quelles Pieces approchent de la régularité de celles qu’il a travaillées sur ses Préceptes ? Arminius le disputera-il à Cinna ? Marc-Antoine à Rodogune ? Les Visionnaires à Dom Sanche d’Aragon ? Il faut donc demeurer d’accord qu’il l’emporte en ce genre sur tous les Poëtes qui l’ont précedé, soit qu’il suive Aristote ou qu’il s’en éloigne ; &amp; comme il dit quelque part luy mesme ; si les premiers qui ont travaillé pour le Théatre, ont travaillé sans exemple, n’aurons-nous pas le mesme privilege ? Les regles des Anciens sont bonnes, continuë-il, mais leur methode n’est pas de nostre Siecle ; &amp; qui s’attacheroit à ne marcher que sur leurs pas, feroit sans doute peu de progrez, &amp; divertiroit mal son Auditoire. C’est là entendre Aristote, mais c’est mieux entendre le Théatre qu’Aristote. Il faut lire les Anciens, il faut les étudier, il faut connoistre.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> ... vos exemplaria Græca.</l>
                <l rend="i">Nocturnâ versate manu, versate diurnâ.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Mais il ne faut pas toûjours les suivre, il faut s’en éloigner quelquefois. C’est un Art, il faut le perfectionner, &amp; pour cela aller plus loin que les Anciens, si l’on veut découvrir quelque chose. Il faut aller au delà des regles pour en établir de meilleures.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Nil intentatum nostri liquere Poëtæ,</l>
                <l rend="i">Nec minimum meruere decus, vestigia Græca</l>
                <l rend="i">Ausi deserere.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Il faut faire de nouvelles découvertes. Il faut risquer quand ce seroit à ses perils, comme il l’a dit luy mesme, &amp; c’est ce qu’il a pratiqué si heureusement, qu’il s’est acquis par là la réputation du plus grand Maistre du Théatre qui ait jamais esté.</p>
            <p>Mais s’il a esté plus loin que les Anciens, il a poussé les Anciens plus loin qu’ils ne croyoient aller. Il a penetré leur genie, &amp; luy a donné toute l’étenduë qu’il pouvoit avoir. Il a rectifié leurs mœurs, &amp; leurs sentimens, sans les rendre semblables aux nôtres. Il a fait les Anciens meilleurs sans nous les faite ressembler, ny parler comme nous, &amp; nous comme eux. Enfin tous ces Caracteres ont esté plûtost des Originaux que des Copies. Il a embelly Rome &amp; Athénes ; mais de Rome &amp; d’Athénes, il n’en a point fait Paris. Il a toûjours distingué l’Areopage &amp; le Senat, du Parlement, &amp; du Chastelet ; &amp; si <hi rend="sc">Loüis le grand</hi> ressemble à Cesar, il distingue toûjours l’Empereur des François, du Conquerant des Gaules. Voila pour ce qui regarde les mœurs, &amp; les caracteres. Que dirons-nous des Pieces de Théatre des Anciens, qu’il a traitées &amp; dont il a soûtenu le genie &amp; l’invention ? Telles sont Oedipe, Medée, &amp; les autres qu’il a tirées des Grecs &amp; des Latins, dans lesquelles on peut voir cette belle &amp; délicate imitation des Anciens. Il donne un tour à tout ce qu’il prend d’eux, qu’il accommode à son genie, mais qui est toûjours propre à leur caractere. Ce n’est point du Latin en François, encore moins du François en Latin, Vous m’entendez, Monsieur, il rend les pensées des Anciens naturelles en nostre Langue, mais ces pensées ne sont point Françoises, elles demeurent toûjours Grecques &amp; Romaines. C’estoit le défaut des Poëtes qui l’avoient précedé, ils parloient toûjours comme les Anciens, &amp; faisoient toujours parler les Anciens comme eux ; c’est à dire que leurs sentimens estoient François, &amp; leurs expressions Latines. Quelle confusion ! quelle barbarie ! Cependant cette Science pedantesque faisoit une partie de leur entousiasme. Ils faisoient gloire des Galimathias, &amp; croyoient n’être pas Poëtes, si leurs Ouvrages ne ressembloient aux Oracles. Pour moy je vous avoüe que je reconnois la Poësie divine en cela, de s’estre tirée d’une pareille obscurité. M<hi rend="sup">r</hi> Corneille est un de ceux qui a le plus travaillé à luy donner cette élegance &amp; cette pureté, dans laquelle nous la voyions aujourd’huy. Rien n’est plus net, rien n’est plus noble que sa diction. Il a de la facilité, de la grace ; il possede le beau tour, &amp; ce sont les qualitez de son stile qui le rendent à mon avis si recommandable, &amp; qui l’élevent au dessus des autres. Il a écrit d’une maniere solide &amp; durable, &amp; propre pour tous les temps ; d’un stile égal, ny trop vieux, ny trop nouveau. Point d’affectation, point de prétiosité, s’il m’est permis d’user de ce mot. Toutes ses expressions sont de mise &amp; de bon aloy, &amp; sa Poësie est aussi chaste pour les mœurs, que pour le stile, ce qui rendra sa memoire immortelle, &amp; fera estimer ses Ouvrages dans tous les Siecles.</p>
            <p>Aprés cela, Monsieur, puis-je trouver à redire aux honneurs qu’il a receus de nostre grand Monarque, &amp; luy refuser un grain d’encens, lors qu’on luy donne par tout mille loüanges ? Je souscris hautement à cette grande réputation, &amp; j’approuve qu’il ait dit au Roy dans son remerciement.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Mais contre ces abus que j’aurois de suffrages</l>
                <l rend="i">Si tu donnois le tien à mes derniers Ouvrages !</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Je me souviens mesme avec joye du renouvellement d’estime qu’il plut à Sa Majesté de luy marquer il y a quelques années, &amp; qu’Elle se soit souvenuë de ce Vers.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Sire, un bon mot de grace au Pere de la Chaise.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>On ne sçauroit trop payer le service des Muses, &amp; sur tout le travail de M. Corneille.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Je sers depuis dix ans, mais c’est par d’autres bras,</l>
                <l rend="i">Que je verse pour toy du sang dans nos combats.</l>
                <l rend="i">Je pleure encore un Fils, &amp; trembleray pour l’autre,</l>
                <l rend="i">Tant que Mars troublera ton repos &amp; le nostre.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Jamais Virgile ne fut plus à plaindre, quand il décrit les maux que la Guerre luy avoit faits.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">Barbarus has segetes ?</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Mais jamais aussi Virgile ne fut mieux récompensé d’Auguste, que M<hi rend="sup">r</hi> Corneille l’a esté de nôtre Grand Monarque. Il est certain que tout ce qu’Alexandre a fait pour Homere, tout ce qu’Auguste a fait pour Virgile, tout qu’Henry III. a fait pour des Portes, n’approche point de l’estime que le Roy a toûjours euë pour cét excellent Poëte.</p>
            <p>Il en connoissoit le merite, &amp; son rare discernement rendra toujours sa gloire solide &amp; durable. Ainsi il pouvoit dire dans un autre sens que Virgile.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> ..... Sed carmina tantum</l>
                <l rend="i">Nostra valent,</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Mais pour joüir d’une réputation aussi longue &amp; aussi glorieuse que celle de Sophocle, auquel il a ressemblé en tant de choses, &amp; jusqu’à son vieil âge, il a toujours eu en veüe les Actions éclatantes du Roy, &amp; en a laissé une éternelle image dans tous ses écrits. Le Théatre en effet, ne peut mieux estre employé qu’à representer les vertus du Prince, &amp; le Prince ne peut ailleurs recevoir de plus dignes loüanges. Sa gloire y paroist sans flaterie. Il y remarque sa Personne &amp; sa conduite. Il y voit ce qu’il a fait &amp; ce qu’il doit faire. Enfin quand le Poëte est habile, le Poëme Dramatique est un miroir, où le Prince se voit, &amp; où les Sujets voyent le Prince. Qui ne reconnoist dans Attila nostre invincible Monarque, sous le nom de Meroüée ? Ce n’est point là Cesar ou Alexandre, c’est <hi rend="sc">Loüis le grand</hi>. Ce n’est point aussi Aristophane ou Virgile qui en ont fait le Portrait, c’est l’incomparable Corneille qui pouvoit dire en mourant <hi rend="i">quis caneret Nymphas</hi>, ou plutost <hi rend="i">quis caneret Reges</hi> ? Car si Appelles seul estoit digne de peindre Alexandre, Corneille seul étoit digne de peindre <hi rend="sc">Loüis le grand</hi>. C’est ce que j’ay toujours pensé de cét illustre Poëte, &amp; ce que j’ay cru devoir vous écrire pour vostre satisfaction, &amp; la mienne. Je suis, &amp;c.</p>
          </quote>
        </div>
        
        <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_285" resp="wordpro">
          <head>Sentimens sur les trois premieres Questions proposées dans le XXIX. Extraordinaire du Mercure Galant [par Mr Diereville].</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 285-265<note resp="editor">Erreur de pagination : "265" au lieu de "289".</note></bibl>
          <quote>
            <label><hi rend="i">SENTIMENS SUR</hi><lb/><hi rend="i">les trois premieres Questions proposées dans le XXIX. Extraordinaire du Mercure Galant.</hi></label>
            <quote>
              <label>Si un Courtisan trompé dans ses esperances, est plus à plaindre qu’un Amant passionné, qui ne peut toucher le cœur de la Personne qu’il aime.</label>
              <lg>
                <l rend="i">Il n’est, charmant Iris, qu’un LOUIS dans le monde ;</l>
                <l rend="i"> Lors qu’un Courtisan dans sa Cour</l>
                <l rend="i"> Sur quelque esperance se fonde,</l>
                <l rend="i"> Et qu’il ne voit jamais le jour</l>
                <l rend="i">Que ce fameux Heros à ses desirs réponde,</l>
                <l rend="i">Je le plains cent fois plus qu’un Amant dont l’amour</l>
                <l rend="i">Ne peut toucher le cœur de sa Brune ou sa Blonde.</l>
                <l rend="i"> C’est un mortel chagrin pour luy,</l>
                <l rend="i"> Qui luy fait d’autant plus d’ennuy</l>
                <l rend="i"> Qu’il ny trouve point de remede.</l>
                <l rend="i">Une faveur du Roy feroit tous ses plaisirs ;</l>
                <l rend="i">La noble ambition qui toûjours le possede</l>
                <l rend="i">L’empesche de former ailleurs d’autres desirs.</l>
                <l rend="i"> Mais un Amant qui pour une Maîtresse</l>
                <l rend="i"> Pleure, languit, &amp; soupire sans cesse,</l>
                <l rend="i"> Sans que ses maux puissent toucher son cœur,</l>
                <l rend="i"> Ne peut-il pas avec une autre Belle</l>
                <l rend="i"> Qui ne luy sera point cruelle</l>
                <l rend="i"> Se consoler de son malheur ?</l>
                <l rend="i"> Il en est tant de favorables</l>
                <l rend="i">Mais je fais mal ma cour à vous, charmante Iris,</l>
                <l rend="i">Qui paroissez toûjours des plus impitoyables,</l>
                <l rend="i">Et qui n’avez pour moy que de cruels mépris.</l>
                <l rend="i"> Changez d’humeur, beauté sevére,</l>
                <l rend="i"> Traitez-moy plus humainement,</l>
                <l rend="i"> Et pour lors il se pourra faire</l>
                <l rend="i">Qu’on me verra changer aussi de sentiment.</l>
              </lg>
            </quote>
            <quote>
              <label>Si l’Infidelité d’une Maistresse peut autoriser un Amant trahy à estre indiscret.</label>
              <lg>
                <l rend="i"> Quand d’une tendre passion</l>
                <l rend="i">Alcandre pour Philis sent que son ame est prise,</l>
                <l rend="i">Quoy que cette beauté le fuye &amp; le méprise</l>
                <l rend="i">Qu’elle aille enfin pour luy jusqu’à la trahison,</l>
                <l rend="i">Son infidelité n’a rien qui l’authorise</l>
                <l rend="i">A faire à cette Belle une indiscretion.</l>
                <l rend="i">Le secret en amour doit estre inviolable,</l>
                <l rend="i"> Et qui ne sçauroit le garder.</l>
                <l rend="i">Merite peu ce qu’un objet aimable</l>
                <l rend="i"> A son amour peut accorder.</l>
                <l rend="i"> Pour se vanger d’une infidelle,</l>
                <l rend="i"> Tout ce que peut faire un Amant,</l>
                <l rend="i"> C’est imitant cette cruelle</l>
                <l rend="i"> De faire un autre engagement.</l>
                <l rend="i">Si la charmante Iris dont mon ame est ravie,</l>
                <l rend="i">Vouloit d’une faveur soulager mon amour,</l>
                <l rend="i"> Et me trahir le mesme jour,</l>
                <l rend="i"> Je n’en parlerois de ma vie.</l>
              </lg>
            </quote>
            <quote>
              <label>Si la Prodigalité est moins condamnable que l’Avarice.</label>
              <lg>
                <l rend="i"> Je condamne fort l’Avarice,</l>
                <l rend="i"> Dans les Hommes c’est un grand vice.</l>
                <l rend="i">Tel verroit tout languir auprés de ses tresors,</l>
                <l rend="i"> Sans en mettre un teston dehors.</l>
                <l rend="i"> Pour secourir un Misérable,</l>
                <l rend="i">Et luy-mesme d’argent toûjours insassiable,</l>
                <l rend="i"> Avec tout ce qu’il a de bien,</l>
                <l rend="i">Manque de tout, plûtost que de se donner rien.</l>
                <l rend="i"> Est-il rien de plus condamnable ?</l>
                <l rend="i"> Mais dans la Prodigalité</l>
                <l rend="i"> Je ne voy rien digne de blâme ;</l>
                <l rend="i"> C’est une genérosité</l>
                <l rend="i">Qui ne sçauroit sortir que d’une grandeur d’ame.</l>
                <l rend="i"> Et si l’excez en fait du mal,</l>
                <l rend="i">Ce n’est rien qu’à celuy dont le cœur liberal</l>
                <l rend="i"> A moins pour luy que pour les autres,</l>
                <l rend="i"> Ou de qui les biens sont les nostres.</l>
                <l rend="i">Mais ou je ne pourray jamais la soûtenir,</l>
                <l rend="i"> C’est dans le cœur d’une beauté cruelle</l>
                <l rend="i"> Dont mes Rivaux sçavent tout obtenir</l>
                <l rend="i">  Quand je ne puis rien avoir d’elle.</l>
              </lg>
              <p><hi rend="sc">Diereville</hi>.</p>
            </quote>
          </quote>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1685-06e_265" resp="wordpro" copyOf="MG-1685-06e_268">
          <head>Dialogue entre les Muses de l’Académie de Villefranche et Cupidon.</head>
          <bibl><title>Extraordinaire du Mercure galant</title>, quartier d’avril 1685 (tome XXX), p. 265-277<note resp="editor">Suite à une erreur de pagination, deux groupes de pages portent les mêmes numéros (265-279) ; cet article fait partie de la seconde série.</note></bibl>
          <p><hi rend="i">Il m’est tombé depuis peu entre les mains un Ouvrage fort galant, qui fut fait il y a quelques années, sur le mariage d’un Académicien de Ville-franche en Beaujolois. Il est de M<hi rend="sup">r</hi> Mignot de Bussy, de la mesme Académie</hi>.</p>
          <quote>
            <label>DIALOGUE ENTRE LES<lb/><hi rend="sc">Muses de l’Academie</hi><lb/><hi rend="sc">de Villefranche et Cupidon.</hi></label>
            <lg>
              <label><hi rend="sc">Les Muses.</hi></label>
              <l rend="i">  Petit Dieu de l’amour</l>
              <l rend="i"> Vous nous joüez tous les jours quelque tour :</l>
              <l rend="i">Non content d’exercer sur la terre &amp; sur l’onde</l>
              <l rend="i">  Un empire absolu,</l>
              <l rend="i"> Vous estes encore résolu</l>
              <l rend="i">De troubler le repos de nostre paix profonde :</l>
              <l rend="i"> Et méprisant nos Chansons &amp; vos Jeux,</l>
              <l rend="i"> Vous venez prés de nos Fontaines,</l>
              <l rend="i">  Avecque tous vos feux</l>
              <l rend="i">  Pour en tarir les veines.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label><hi rend="sc">Cupidon.</hi></label>
              <l rend="i">Belles &amp; doctes Sœurs, pourquoy vous plaignez-vous</l>
              <l rend="i">Que dans vostre sejour j’étende ma puissance,</l>
              <l rend="i">Tous ceux qui sont soûmis à mon obeïssance,</l>
              <l rend="i">Ont toûjours ressenty les plaisirs les plus doux ?</l>
              <l rend="i"> Il n’est point de lieux sur la terre</l>
              <l rend="i"> Qui ne reconnoissent mes Loix,</l>
              <l rend="i"> J’assujettis les plus grands Roys,</l>
              <l rend="i">Et jusques dans les Cieux le Maistre du Tonnerre,</l>
              <l rend="i">Ne sçauroit soûtenir mes plus foibles efforts,</l>
              <l rend="i">Pluton mesme au milieu du noir sejour des morts,</l>
              <l rend="i">Où l’on ne voit jamais que peine &amp; que martyre,</l>
              <l rend="i"> Reconnoit mon empire</l>
              <l rend="i"> Et me fait avec soin sa cour.</l>
              <l rend="i"> Aprés cela les filles de mémoire,</l>
              <l rend="i">  Blessent-elles leur gloire,</l>
              <l rend="i">De se soûmettre au pouvoir de l’Amour ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label><hi rend="sc">Les Muses.</hi></label>
              <l rend="i">Non, non, fils de Venus, vos paroles sont veines,</l>
              <l rend="i"> On ne doit point sur nostre Mont,</l>
              <l rend="i"> S’amuser à porter les chaînes,</l>
              <l rend="i">D’un Dieu qui rarement à nos desirs répond,</l>
              <l rend="i"> Et c’est une pure chimere,</l>
              <l rend="i"> D’accorder les loix de Cithére,</l>
              <l rend="i"> Avec celles de l’Hélicon.</l>
              <l rend="i">Ce n’est pas nostre fait dans nos douces retraites,</l>
              <l rend="i"> D’estre amoureuses &amp; coquettes ;</l>
              <l rend="i">Et si nous ressentons de l’ardeur dans nos cœurs,</l>
              <l rend="i">Ce n’est que pour chanter le plus grand des Vainqueurs,</l>
              <l rend="i"> Il merite seul nostre zele,</l>
              <l rend="i">Et ce n’est que pour luy que sont faits nos Concerts,</l>
              <l rend="i">Encore est-ce bien peu d’employer tous nos Airs,</l>
              <l rend="i">A celébrer les faits de sa gloire immortelle,</l>
              <l rend="i">Puis que tant d’autres cœurs pleins de force &amp; d’appas,</l>
              <l rend="i"> Jusqu’icy n’y suffisent pas.</l>
              <l rend="i"> Enfin des Muses bien sensées,</l>
              <l rend="i">Doivent plûtost donner leurs chants &amp; leurs pensées,</l>
              <l rend="i">Aux exploits glorieux d’un Heros triomphant,</l>
              <l rend="i">Qu’aux vains amusemens d’un jeune &amp; foible Enfant.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label><hi rend="sc">Cupidon.</hi></label>
              <l rend="i"> Oüy, Muses, je le confesse,</l>
              <l rend="i">Il faut qu’incessamment vostre Troupe s’empresse,</l>
              <l rend="i">  A chanter de LOUIS,</l>
              <l rend="i">  Tous les faits inoüis :</l>
              <l rend="i">Il n’est point de Heros qui par leur concurrence,</l>
              <l rend="i">Puissent avecque luy partager vos Chansons.</l>
              <l rend="i">Les ayant surpassez de toutes les façons,</l>
              <l rend="i">Il mérite luy seul d’avoir la préférence ;</l>
              <l rend="i">  Et mesme jusqu’à moy,</l>
              <l rend="i"> Bien souvent il a fait la loy,</l>
              <l rend="i">Quand par les vains efforts de mes traits, de mes charmes,</l>
              <l rend="i">J’ay voulu l’engager au milieu des Hyvers,</l>
              <l rend="i">Où mes jeux font goûter mille plaisirs divers ;</l>
              <l rend="i">A suspendre le cours de ses terribles armes.</l>
              <l rend="i">Mais bien qu’avec raison ce plus grand des Guerriers,</l>
              <l rend="i"> Merite seul d’occuper le Parnasse,</l>
              <l rend="i">Mes Mirtes ne font point de honte à ses Lauriers ;</l>
              <l rend="i"> Mais ils leurs donnent plus de grace : Les Chants</l>
              <l rend="i"> Qui sont unis pour Mars &amp; pour ma Mere,</l>
              <l rend="i"> Ne doivent pas moins plaire,</l>
              <l rend="i">S’ils n’en sont pas si fiers, ils en sont plus touchans.</l>
              <l rend="i">Ne vous fâchez donc pas, Muses prudes &amp; sages,</l>
              <l rend="i"> De me voir dans vostre sejour,</l>
              <l rend="i">Les Belles comme vous à l’aspect de l’Amour</l>
              <l rend="i"> N’ont jamais esté si sauvages.</l>
              <l rend="i">  Je ne veux point d’ailleurs</l>
              <l rend="i">  Faire bréche à vos cœurs :</l>
              <l rend="i">C’est un autre dessein qui vous plaira sans doute,</l>
              <l rend="i">  Si pour un seul moment</l>
              <l rend="i">  Vostre Troupe m’écoute.</l>
              <l rend="i">  Je ne viens seulement</l>
              <l rend="i">Que pour vous faire part d’une douce nouvelle,</l>
              <l rend="i">Un de vos Nourrissons aussi tendre qu’heureux,</l>
              <l rend="i">  A sceu par ses soins amoureux,</l>
              <l rend="i">  Enflamer le cœur d’une Belle :</l>
              <l rend="i">Ils doivent au plûtost s’unir des plus doux nœuds,</l>
              <l rend="i">Et l’Hymen se prépare à couronner leurs feux,</l>
              <l rend="i">  Ne ressentez-vous pas la joye,</l>
              <l rend="i">  De voir un de vos chers Enfans,</l>
              <l rend="i">  Par des efforts heureux &amp; triomphans</l>
              <l rend="i">  Maistre d’une si riche proye,</l>
              <l rend="i">Qui charge de ses fers tant d’illustres Captifs.</l>
              <l rend="i">A l’aspect de ses yeux si brillants &amp; si vifs,</l>
              <l rend="i">Le Soleil aussi-tost paroist obscur &amp; sombre,</l>
              <l rend="i">Ses rayons ne sont plus qu’un nuage &amp; qu’une ombre,</l>
              <l rend="i">Hé ! que pourroit-il faire en cét état fâcheux ?</l>
              <l rend="i">Il faut bien malgré luy qu’un seul le cede à deux,</l>
              <l rend="i">Contre leurs doux regards il n’est point de cœur tendre,</l>
              <l rend="i">  Qui se puisse défendre.</l>
              <l rend="i">On diroit qu’elle a fait au Lis comme au Jasmin,</l>
              <l rend="i">  Un notable larcin ;</l>
              <l rend="i">  Puis que leur blancheur sans égale,</l>
              <l rend="i">  Prés de son teint est toûjours sale,</l>
              <l rend="i"> La Rose mesme y perd son incarnat,</l>
              <l rend="i">  Un autre plus vif le surmonte,</l>
              <l rend="i">Et quoy qu’elle soit rouge, en ce méchant état</l>
              <l rend="i"> On connoît bien que ce n’est que de honte.</l>
              <l rend="i">Sans cesse l’on y voit l’image du Printemps,</l>
              <l rend="i">Et certains petits trous qui sont sur son visage,</l>
              <l rend="i">Font l’azile asseuré que j’ay pris en partage</l>
              <l rend="i">  Pour me couvrir du mauvais temps.</l>
              <l rend="i">Je sçay qu’elle a beaucoup d’autres beautez secrettes,</l>
              <l rend="i"> Mais ce n’est pas dans vos retraites,</l>
              <l rend="i"> Où s’en doit faire le portrait,</l>
              <l rend="i"> L’heureux Amant qui va s’en rendre maistre,</l>
              <l rend="i"> Voudra bien quelque jour peut-estre,</l>
              <l rend="i"> Vous en dépeindre quelque trait.</l>
              <l rend="i">Pour composer un tout qui jette mille flâmes</l>
              <l rend="i">  Dans les plus dures Ames,</l>
              <l rend="i">L’esprit répond aux charmes de son corps.</l>
              <l rend="i">Ma Mere &amp; la Nature en ont fait les accords,</l>
              <l rend="i">Il ne luy manquoit plus qu’un cœur un peu sensible,</l>
              <l rend="i"> J’ay tant fait par mes soins,</l>
              <l rend="i">Que je me suis placé dans tous ses coins,</l>
              <l rend="i">Aprés quoy j’en ay fait le possesseur paisible,</l>
              <l rend="i">Celuy qui transporté d’une si vive ardeur</l>
              <l rend="i">Vous informe par moy d’un si rare bonheur.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label><hi rend="sc">Les Muses.</hi></label>
              <l rend="i">Aimable Cupidon, nostre Troupe immortelle,</l>
              <l rend="i">Approuve le dessein qui vous tient prés de nous,</l>
              <l rend="i"> Et ressent aussi bien que vous,</l>
              <l rend="i">Le plaisir que produit vostre douce nouvelle.</l>
              <l rend="i">Nous voulons par nos Airs celebrer le beau jour,</l>
              <l rend="i"> Où l’Hymen rendra plus durables,</l>
              <l rend="i"> Les liens qu’a formé l’Amour</l>
              <l rend="i"> Entre deux objets admirables.</l>
              <l rend="i"> LOUIS pendant un peu de temps</l>
              <l rend="i"> Nous permettra de suspendre les chants,</l>
              <l rend="i"> Que nostre heureuse destinée,</l>
              <l rend="i">Nous fait former pour vanter ses Exploits,</l>
              <l rend="i">Et nous pourrons donner toutes nos voix</l>
              <l rend="i"> Pour un si charmant Himenée.</l>
              <l rend="i">  Cependant, petit Dieu,</l>
              <l rend="i"> Dépeschez-vous d’abandonner ce lieu,</l>
              <l rend="i"> Allez plûtost auprés de cette belle,</l>
              <l rend="i">Aider son tendre Amant à la rendre fidelle.</l>
              <l rend="i"> Allez inspirer à son cœur,</l>
              <l rend="i">  L’estime &amp; la tendresse,</l>
              <l rend="i">Que meritent l’esprit, la douceur, la sagesse,</l>
              <l rend="i">  De son heureux vainqueur.</l>
              <l rend="i">  Faites luy voir la vive image</l>
              <l rend="i">  De sa felicité,</l>
              <l rend="i">  Et l’amoureux hommage,</l>
              <l rend="i">Qu’un si digne Sujet va rendre à sa beauté.</l>
              <l rend="i">Allez, dépeschez-vous, n’apportez plus d’excuses,</l>
              <l rend="i">C’est inutilement consumer tous vos feux,</l>
              <l rend="i">  Et vos plus tendres jeux,</l>
              <l rend="i"> Ne peuvent qu’ennuyer les Muses,</l>
              <l rend="i">Vous emploirez bien mieux ces prétieux momens,</l>
              <l rend="i"> Avec ce beau couple d’Amans</l>
              <l rend="i"> Sans vous ils ne sçauroient rien faire,</l>
              <l rend="i">Quelque effort que l’Himen hazarde en leur faveur,</l>
              <l rend="i"> Il n’a jamais assez d’ardeur,</l>
              <l rend="i">Pour arriver au but qui peut les satisfaire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>Compliment de Cupidon, fait à la Belle… de la part des Muses, sur le sujet de son Mariage.</label>
            <lg>
              <l rend="i"> Belle, que j’aime tendrement,</l>
              <l rend="i">Par le Chœur des neuf Sœurs, ma bouche est destinée,</l>
              <l rend="i">Pour venir de leur part vous faire compliment</l>
              <l rend="i"> Sur vostre charmante Himenée.</l>
              <l rend="i">Elles mesmes viendroient pour vous le faire en Corps,</l>
              <l rend="i">  Mais leurs jeux si paisibles</l>
              <l rend="i">  Ne leur rend pas loisibles,</l>
              <l rend="i">  De semblables efforts.</l>
              <l rend="i"> Depuis le temps qu’il est, des Muses,</l>
              <l rend="i"> Elles quittent peu leur sejour,</l>
              <l rend="i"> Et se sont pour toûjours excluses</l>
              <l rend="i">  Des mysteres d’amour.</l>
              <l rend="i">Elles craindroient de voir le furieux ravage,</l>
              <l rend="i"> Que l’on fera sur vos appas :</l>
              <l rend="i"> Mais quoy qu’ils soient mis au pillage,</l>
              <l rend="i"> Belle Iris, n’en rougissez pas,</l>
              <l rend="i"> Puis que les Muses mesme,</l>
              <l rend="i">Quelques grandes que soient leur crainte &amp; leur froideur,</l>
              <l rend="i"> Ne croiront pas offenser leur pudeur,</l>
              <l rend="i"> D’en avoir une joye extréme ;</l>
              <l rend="i">Si ce ravage un jour pour leurs doctes leçons,</l>
              <l rend="i"> Peut leur fournir des petits Nourrissons.</l>
            </lg>
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