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<title>Mercure galant, avril 1680 [tome 6]</title>
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<edition>OBVIL/IREMUS</edition>
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<name>Nathalie Berton-Blivet</name>
<resp>Responsable éditorial</resp>
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<name>Anne Piéjus</name>
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<name>Vincent Jolivet</name>
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<publisher>Sorbonne Université, LABEX OBVIL</publisher>
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<idno>http://obvil.sorbonne-universite.fr/corpus/mercure-galant/MG-1680-04/</idno>
<availability status="restricted">
<licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/"><p>Copyright © 2019
Sorbonne Université, agissant pour le Laboratoire d’Excellence « Observatoire de la
vie littéraire » (ci-après dénommé OBVIL).</p>
<p>Cette ressource électronique protégée par le code de la propriété intellectuelle sur
les bases de données (L341-1) est mise à disposition de la communauté scientifique
internationale par l’OBVIL, selon les termes de la licence Creative Commons : «
Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 France
(CCBY-NC-ND 3.0 FR) ».</p>
<p>Attribution : afin de référencer la source, toute utilisation ou publication dérivée
de cette ressource électroniques comportera le nom de l’OBVIL et surtout l’adresse
Internet de la ressource.</p>
<p>Pas d’Utilisation Commerciale : dans l’intérêt de la communauté scientifique, toute
utilisation commerciale est interdite.</p>
<p>Pas de Modification : l’OBVIL s’engage à améliorer et à corriger cette ressource
électronique, notamment en intégrant toutes les contributions extérieures, la
diffusion de versions modifiées de cette ressource n’est pas
souhaitable.</p></licence>
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<bibl><title>Mercure galant</title>, avril <date>1680</date> [tome 5].</bibl>
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<div type="article" xml:id="MG-1680-04_034" resp="mercure">
<head>[Suite des Réjoüissances faites à Naples, pour le Mariage du Roy d’Espagne]</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 34-43<note resp="editor"
>Voir <ref target="MG-1680-03a_120">cet article pour le début de la relation de ces
réjouissances.</ref></note></bibl>
<p>Madrid n’a pas esté le seul lieu de la domination du Roy d’Espagne, où l’on ait donné ces
sortes de Festes à l’occasion de son Mariage. On en a aussi fait à Naples, apres la
superbe Cavalcade dont vous avez veu la description dans ma lettre du dernier Mois. Ces
diverses Réjoüissances y ont precedé un Carrousel, dont le Spéctacle charma un nombre
infiny de Spectateurs le Dimanche dix-huit Fevrier. Toute la Noblesse qui en composoit les
Quadrilles s’estant assemblée dans la Court du Saint-Esprit, la Marche commença de là par
la Ruë de Tolede vers le Palais, dans l’ordre qui suit. Deux Trompetes & deux Tambours
du Prince de Piombino, qui faisoit la fonction de Maréchal de Camp de la Place, alloient
les premiers revétus de sa Livrée. Elle estoit d’Ecarlate, avec une Broderie or &
argent. Deux Pages en suite aussi richement vétus, & deux Aydes de Camp apres eux,
précedoient le Prince que je viens de vous nommer. Il avoit un Habit d’une magnificence
extraordinaire, & estoit suivy de quantité d’Estafiers, dont la propreté attiroit les
regards de tout le monde. Apres qu’ils estoient passez, on voyoit paroistre la premiere
des deux Quadrilles de M<hi rend="sup">r</hi> le Marquis de los Velez Viceroy de Naples,
conduite par le Marquis de Taracene. Sa Livrée estoit Violete or & argent, & sa
Devise, deux Palmes qui se rencontrant formoient un Arc, au dessous duquel on voyoit le
Fleuve Sebete assis, avec ces mots, <hi rend="i">Con eterna union Amor li stringe</hi>.
Cette Quadrille, ainsi que toutes les autres, consistoit en deux Trompetes, deux Tambours,
deux Ecuyers qui portoient les Lances, six Estafiers menant des Chevaux de main, deux
Parrains, & six Chevaux vétus des couleurs du Drapeau de la Quadrille, avec de
tres-belles Plumes, & quantité de Gens de Livrée. La seconde Quadrille de M<hi
rend="sup">r</hi> le Viceroy, suivoit celle-cy. Le Prince de Vegiano-Sangro la
conduisoit. Son Drapeau estoit couleur de Musc, argent & or, & le corps de sa
Devise, une Branche de Laurier, avec une autre de Vigne où pendoient des Grapes. Ces
paroles luy servoient d'ame, <hi rend="i">Gloriosa secondidad</hi>. Le Prince de
Bellosguardo-Pignatelli menoit la troisiéme Quadrille, qui estoit celle du Marquis Serra.
Sa couleur estoit incarnat & argent. Un Foudre qui s'échapoit hors des Nuës faisoit sa
Devise, avec ces mots, <hi rend="i">Eris plende & offende.</hi> La Quadrille du Prince
de Castiglione paroissoit la quatriéme. Elle avoit le Marquis de Casalbero Caracciolo pour
Chef, & or & verd pour couleur. Sa Devise estoit une Montagne qui jettoit du feu,
& ces mots pour ame, <hi rend="i">Quel che si nasconde è fuoco.</hi> Apres marchoit la
Quadrille du Prince d'Acquaviva, ayant bleu & argent pour couleur, & pour Devise
un Fleuve rapide, précipitant ses eaux dans la Mer. Ces Paroles faisoient allusion à son
nom, <hi rend="i">Tributario del Mare è l'Acquaviva.</hi> Cette Quadrille précedoit celle
du Prince de la Bagnara, qui estoit menée par le Prince de la Valle Picolomini. Blanc, or
& argent estoit sa couleur, & il avoit pour Devise un Soleil paroissant dans
l'Orison avec ces mots, <hi rend="i">I rai n'addita di piuvago Sole.</hi> La Quadrille qui
la suivoit estoit celle du Duc d'Andria Carrasa, conduite par le Prince Chiusano Carrasa,
ayant pour couleur Fleur de Pesché & or. Ces paroles ; <hi rend="i">Siempre la
misma,</hi> au dessous d"un Phénix que le Soleil réduisoit en cendres, faisoient sa
Devise. Cette magnifique Marche estoit fermée par la Quadrille du Marquis de Trevico
Loffredo, dont la couleur estoit jaune, or & argent, & la Devise, un vent Aquilon
avec ces mots, <hi rend="i">Nil velocius</hi>. Le Comte de Potenza la conduisoit. Apres
que toutes ces Quadrilles furent entrées dans le Camp, on commença à rompre les Lances. Le
Marquis de Fuscaldo Grand Justicier du Royaume, le Prince de Forino, & le Comte de
Conversano, estoient Juges de l'adresse des Combatans. La Course de Bague succeda au
Carrousel, & le Duc de Madaloni ayant remporté beaucoup de Prix dans les divers Jeux
où l’on s’exerça, il en régala la Vicereyne, & les autres Dames. La Feste s’estant
terminée avec un applaudissement general, toute la Noblesse se rendit dans la Salle de
M<hi rend="sup">r</hi> le Viceroy, où les Cavaliers des Quadrilles firent tous ensemble
un tres-beau Bal à l’Impériale ; apres quoy ils dancerent deux à deux avec les Dames. Cela
fait, M<hi rend="sup">r</hi> le Marquis de los Velez commença le Bal de la Torche. Il la
mit en suite entre les mains de la Marquise de Corleto, & la Dance fut continuée de
cette sorte jusqu’à neuf heures du soir. </p>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_050" resp="mercure">
<head>Air nouveau</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 50-51.</bibl>
<p>Voicy un Printemps de l’illustre M<hi rend="sup">r</hi> de Bassilly, qui en a fait les
Paroles, aussi-bien que l’Air. Vous voyez, Madame, qu’il continuë à me donner ses
Ouvrages, & que mes Lettres contiennent la suite du Journal des Nouveautez du Chant,
que les impressions peu correctes qu’on en faisoit, luy avoient fait interrompre.</p>
<quote>
<label>AIR NOUVEAU.</label> resp="author" place="margin"><hi rend="i">Avis pour
placer les Figures</hi> : l’Air qui commence par <hi rend="i">Trop cruelle
saison</hi>, doit regarder la page 50.</note>
<l rend="i"><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Trop cruelle
saison,</l>
<l rend="i"><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space><space rend="tab"
> </space>Qu’avec raison</l>
<l rend="i"><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Je crains tes
charmes,</l>
<l rend="i"><space rend="tab"> </space>Et qu’ils me vont couster de larmes,</l>
<l rend="i">Puis que je sçay que ton fatal retour</l>
<l rend="i">Me va ravir l’Objet de mon amour ! </l>
</quote>
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<figure>
<graphic url="images/1680-04_050.JPG"/>
</figure>
</ref>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_051" resp="mercure">
<head>[L’avarice punie, Histoire]</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 51-76.</bibl>
<p>On n’entend par tout qu’Amans plaintifs, & cependant quelques peines que puisse
causer l’engagement, on aime mieux se mettre en péril d’en prendre, que se résoudre à fuir
le beau Sexe. L’esprit est d’un grand secours pour en estre bien reçeu ; mais pour l’estre
toûjours agreablement, il faut faire de la dépense dans l’occasion. Autrement on traite
les Gens d’avares, & c’est une qualité qui n’a jamais plû aux Dames. Un Cavalier d’une
des plus considérables Villes de Provence, en a fait l’épreuve depuis deux mois. Il voyoit
les Belles, leur disoit cent jolies choses, & pourveu qu'il ne luy en coustast que de
la Prose & des Vers, il n'y avoit point d'Homme plus libéral. Mais dés qu'on luy
proposoit quelque Partie de plaisir, il n'estoit jamais en pouvoir d'en estre, à moins
qu'il ne vist que le Payant se fust déclaré. Sans cela, on luy serroit en vain le bouton
de pres. Il n'entendoit point la langue, & toûjours prompt à ouvrir son cœur sur les
tendres sentimens, il n'y avoit pas moyen qu'on le mist d'humeur à ouvrir sa bourse. La
connoissance qu'on avoit de son caractere, donnoit souvent lieu de s'en divertir, & ce
fut par là que cinq ou six Dames qui alloient dîner à leurs despens à un quart de lieuë de
la Ville, pour joüir du plaisir de la Promenade, l'ayant apperçeu de loin dans le temps
qu'elle montoient en Carrosse, voulurent avoir le plaisir de se faire refuser, en le
priant de leur tenir compagnie. La plus enjoüée d'entr'elles se chargea de la parole,
& dit agréablement au Cavalier qui les aborda, qu'elle se sentoit pour luy certaines
dispositions de cœur tres-favorables, dont il pouvoit profiter en prenant place aupres
d'elle. Il voulut sçavoir où l'on alloit. La Belle luy répondit au nom de toutes les
Dames, qu'il n'avoit à se mettre en peine de rien, qu'elles luy vouloient donner à dîner
aux environs de la Ville, & qu'il ne devoit pas craindre de s'ennuyer le reste du
jour. Le party, quoy qu'agreable, n'accommoda point le Cavalier. Il comprit les
conséquences du Repas offert, & eut à son ordinaire un engagement qu'il ne pouvoit
rompre. Ainsi tout ce qu'elles pûrent obtenir, fut qu'il se tireroit d'affaires avec toute
la promptitude possible, & qu'il iroit les réjoindre sur la fin de leur Dîné, au lieu
qu'elles luy marquoient. La défaite leur fut aisément connuë. Elles en rirent ensemble,
& parlant du Cavalier tant que leur petit Voyage dura, elles résolurent de se vanger
du refus. Chacune promit de chercher comment, & ce fut une espece de défy entr'elles à
qui en viendroit plutost à bout. Cependant elles arriverent à un Lieu de Campagne assez
agréable, & se promenerent quelque temps pendant que le Dîné s'appresta. Ne soyez
point suprise, Madame, de m'entendre parler d'une Promenade faite il y a déja deux mois.
Vous devez vous souvenir, qu'on ne s'apperçoit presque point en Provence de la rigueur de
l'Hyver, & que dans les mois de Decembre & de Janvier, qui sont pour nous les plus
rudes de l'année, on a quelquefois besoin en ce Païs-là de se mettre à couvert de la
chaleur. Cinq ou six Hommes des plus galans de la Ville ayant eu avis de cette Partie,
vinrent où estoient les Dames, & les trouvant hors de table, commencerent une
conversation genérale qui n'alla pas loin. Le Cavalier qui entra un peu apres, la réduisit
bientost au particulier. Il s'alla mettre aux pieds de la Belle, dont il avoit reçeu le
matin une si avantageuse déclaration, & chacun à son exemple ayant choisy celle qui
luy plaisoit davantage, ce ne furent que des teste-à-teste pendant quelque temps, dans une
Compagnie de douze Personnes. La Belle enjoüée reçeut d'un air fort riant tout ce que le
Cavalier luy dit de flateur ; & quoy qu'elle déclarast que pour la toucher il falloit
se soûmettre à des épreuves de complaisance un peu difficiles, comme il n'estoit question
que de donner des paroles, il promettoit tout, & enchérissoit encor sur les devoirs
empressez qu'elle sembloit exiger. Tandis qu'il luy debitoit mille agréables folies, il
s'apperçeut qu'elle estoit resveuse, & luy en ayant demandé la cause, il sçeut qu'elle
venoit de se souvenir que deux de ses Amies attendoient réponse d'elle sur une affaire
également importante à toutes les trois, & que l'embarras de n'avoir avec elle qu'un
petit Laquais incapable de s'acquiter d'une commission de cette nature, luy causoit la
resverie où il la voyoit. Le Cavalier la tira de peine, en luy offrant un grand Laquais
fort intelligent, dont il la pria de se servir. La Belle accepta cette offre. Le Laquais
fut appellé, & reçeut commandement exprés de son Maistre de faire avec diligence tout
ce que la Dame luy ordonneroit. Alors elle se leva, mena le Laquais à la Porte de la
Salle, & luy dit tout bas ce qu'elle voulut. Le Cavalier le voyant partir, luy cria
encor de loin, qu'il n'oubliast rien de tout ce que la Dame luy avoit dit, & continua
aupres d'elle son personnage de Protestant d'une maniere tout-à-fait galante. Cela parut
tellement, que la plûpart crûrent que c'estoit une veritable affaire de cœur. Quelques-uns
en firent la guerre à la Dame. Elle entendit raillerie, & la conversation en devint
fort enjoüée pendant plus d'une heure. On parloit d’aller faire une promenade de Jardin
avant que de remonter en Carrosse, quand on entendit des Violons. Un Régal si peu attendu
surprit les Dames. Les Violons estant entrez en joüant, s’allerent placer à un des bouts
de la Salle. On ne manqua pas de leur demander qui les envoyoit. Ils furent muets, &
laisserent à chaque Dame le plaisir de croire que c’étoit pour elle qu’ils estoient venus.
On demeura quelque temps à se regarder, sans que personne commençast le Bal. Tous les
Hommes contestoient qu’ils n’avoient aucune part à la Feste ; & enfin pour ne pas
perdre l’occasion de se divertir, puis qu’elle s’offroit, la Belle enjoüée prit une Femme
à qui elle servit d’Homme. La difficulté qui arrestoit les Danceurs, estant levée par
cette démarche, on fit un Bal régulier. Le Cavalier fut pris des premiers, & contribua
plus qu’aucun autre aux nouveaux plaisirs que fournit la Dance. À peine y avoit-on employé
une heure, qu'on servoit une magnifique Collation de toute sorte de Confitures seches
& liquides. Ce fut alors qu'on crût tout de bon qu'il y avoit du dessein. Le Régal
estoit d'un fort galant Homme, & méritoit bien d'estre avoüé. Il fut pourtant inutile
d'en chercher l'Autheur. On se mit à table sans qu'on le connust, & les Dames s'en
témoignant obligées en genéral, mangerent toûjours à bon compte. Les Hommes vouloient
demeurer derriere pour les servir ; mais elles les obligerent à prendre place aupres
d'elles, & dirent qu'estant tres-certain qu'un d'entr'eux donnoit la Feste, il estoit
juste qu'on luy en fit les honneurs, du moins <hi rend="i">incognito</hi>, puis qu'il se
vouloit cacher. Le Laquais du Cavalier ayant paru dans le temps que les Dames avoient
commencé de se mettre à table, la Belle estoit allée luy parler, & avoit dit en suite
tout haut à son Maître, qu'on ne pouvoit estre plus contente qu'elle l'estoit de sa
diligence à faire les choses. Le Cavalier eut place aupres d'elle, & prit tres grand
soin de luy choisir ce qui estoit le plus de son goût. Je ne vous dis rien du degast des
Confitures. On mangea les unes. On pilla les autres, & les Hommes mesme sortirent de
table chargez de butin. Ce ne fut pas sans que l'on eust bû diverses Liqueurs. Le Cavalier
les aimoit, & comme elles le mirent de belle humeur, il chanta plusieur Chansons le
Verre à la main, & porta solemnellement la santé de l’Autheur de cette Feste. Il
estoit fort tard quand elle finit. On parla de remonter en Carrosse, & une des Dames
ayant témoigné quelque crainte de verser à cause que la nuit estoit fort obscure,
l'aimable Enjoüée luy dit qu'il y avoit apparence que celuy qui les avoit si bien régalées
de toutes manieres, auroit eu le soin de se précautionner de lumieres pour le retour. En
effet, on vit plus de deux douzaines de Flambeaux allumez en un moment. On les distribua à
tous les Laquais, & ce fut un jour fort éclatant dans la nuit. La précaution ayant
fait donner de nouvelles loüanges au Régalant, la Belle enjoüée déclara que comme un
secret pesoit naturellement aux Femmes, il estoit impossible qu'elle cachast davantage que
tout le Régal estoit une galanterie du Cavalier, qui avoit voulu commencer par là à luy
faire connoistre sa passion. Les Dames, quoy que fort persuadées qu'il n'en estoit rien,
voulurent soûtenir la plaisanterie, & aplaudissant malicieusement au Cavalier, elles
dirent qu'il leur faisoit voir que la maxime estoit vraye, qu'il ne falloit qu'estre Amant
pour estre prodigue. Le Cavalier plaisanta comme elles, & leur répondit, que si elles
vouloient revenir au mesme lieu dés le lendemain, il s'engageoit à prendre de nouveau les
mesmes soins pour les régaler de la méme sorte. La Belle adjoûta (toûjours avec
enjoüement) qu'il estoit d'un galant Homme de vouloir cacher ce qu'il faisoit d'obligeant
à tout autre qu'à la Personne à qui il cherchoit à plaire ; mais que pour sa gloire, elle
se sentoit obligée de découvrir qu'il n'avoit refusé le matin de venir dîner avec elles,
qu'afin de donner ses ordres pour le Régal ; qu'il avoit fait préparer un grand Soupé ;
que luy en ayant fait confidence en arrivant, elle n'avoit pû soufrir toute la dépense
qu'il vouloit faire pour elle, & qu'ayant aussitost contremandé les Services de Viande
& d'Entremets, elle avoit seulement consenty qu'on apportast le Dessert. Le Cavalier
ne s'émût point de la raillerie. Il estoit accoûtumé à essuyer de plus fâcheuses attaques
sur cette matiere, & comme il avoit beaucoup d'esprit, il ne se déconcertoit de rien.
Tout le monde se disposant à partir, il prit la main de la Dame, se mit en mesme Carrosse,
& la remenant chez elle, il ne la quita qu'apres une nouvelle conversation toute
d'esprit sur leur prétendu engagement. La Belle luy dit que s'il vouloit qu'il durast, il
prist garde sur toutes choses qu'il luy avoit particulierement donné parole de vouloir de
bonne grace tout ce qui pourroit la satisfaire, & que les effets luy feroient bientost
connoistre s'il avoit parlé de bonne foy. L'avertissement donna du soupçon au Cavalier. Il
refléchit sur ce grand Repas qu'elle prétendoit avoir réduit au Dessert, & son Laquais
emprunté luy faisant craindre ce qui ne luy estoit point encor tombé dans l'esprit, il ne
fut pas si-tost arrivé chez luy, qu'il voulut sçavoir de quelles commissions on l'avoit
chargé. Le Laquais surpris de cette demande, répondit qu'il n'avoit pas perdu un moment
pour luy envoyer des Violons, & faire apprester la Collation qu'on avoit servie. Ces
mots furent un coup de tonnerre pour le Cavalier. Il entra dans une colere épouvantable,
& quoy que le Laquais le fist souvenir qu'il luy avoit commandé deux fois de faire au
plutost tout ce que souhaitoit la Dame, il vouloit qu'il fust obligé de deviner qu'en
matiere de Collation & de Violons, il ne devoit pas luy obeïr à luy-mesme quand il
recevroit de pareils ordres de sa propre bouche. Le desespoir d'avoir esté pris pour Dupe,
luy fit passer une fort méchante nuit. Le lendemain il reçeut compliment des Violons &
de ceux qui avoient fourny le Régal, & quoy qu’ils luy pûssent dire, il les renvoya
sans vouloir payer. Mes Mémoires portent qu'on ne voyoit pas qu'il s'en pust défendre, son
Laquais ayant tout ordonné de sa part, & qu'on estoit résolu de se servir contre luy
des voyes de rigueur, s'il continuoit à n'entendre pas raison. Je n’ay rien sçeu
davantage, si ce n’est que les Dames de la Promenade se sont fort diverties de l’avanture,
& que la Belle enjoüée doit craindre le ressentiment du Cavalier, s’il peut trouver
jour à luy faire piece.</p>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_230" resp="mercure">
<head>[Réponse de la Dame au Cavalier]</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 230-232.</bibl>
<quote>
<label>Reponse de la dame </label>
<label>au Cavalier<note resp="editor">Le cavalier répond à la dame qui lui avait prêté
de l’argent pour lui permettre de continuer de jouer à la bassette. En lui envoyant
une bourse pour la rembourser, il y avait joint un billet contenant une poésie (cf.
p. 224-229 de la même livraison).</note>.</label>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Songez-vous à ce que vous
faites,</l>
<l><space rend="tab"> </space>Lors que d’un air aussi fin qu’obligeant,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>En me renvoyant mon argent,</l>
<l>Vous comptez vostre cœur pour une de vos debtes ?</l>
<l/>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Bornez vostre
reconnoissance ;</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Tout ce que j’ay fait me
paroist</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>D’une si petite importance,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Que je ne vois point
d’aparence</l>
<l>Qu’un cœur pour un tel soin à se donner soit prest ;</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>D’ailleurs, je ferois
conscience</l>
<l>De mettre mon argent à si gros interest.</l>
<l/>
<l>Un si foible service à rien ne vous engage,</l>
<l>Le rendre, est seulement ce que j’ay prétendu.</l>
<l>N’allez pas vous piquer de grandeur de courage,</l>
<l>La genérosité l’est plus du bel usage ;</l>
<l>Ce que je vous prestay, vous me l’avez rendu,</l>
<l>En ce siecle en doit-on demander davantage ?</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Ah ! l’on est plus heureux que
sage,</l>
<l>Lors que l’argent presté n’est pas argent perdu.</l>
<l/>
<l>Grace à la probité qui vous est naturelle,</l>
<l><space rend="tab"> </space>On ne court point ce danger avec vous ;</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Mais malgré ce que j’ay veu
d’elle,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Malgré l’estime mutuelle</l>
<l><space rend="tab"> </space>Que la Bassete a fait naître entre nous,</l>
<l>Comme il est des Filoux de diférente espece,</l>
<l><space rend="tab"> </space>Et qu’en amour presque tout est permis,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>En vain vous vous estes
promis</l>
<l><space rend="tab"> </space>D’avoir de moy tendresse pour tendresse.</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Au seul nom d’amour je
frémis,</l>
<l>Et pour fuir les chagrins qui le suivent sans cesse,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Demeurons quitte, & bons
amis.</l>
</quote>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_232" resp="mercure">
<head>[Comédies nouvelles] *</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 230-234.</bibl>
<p>La Bassete qui a donné occasion de faire ces Vers, me fait souvenir de deux Comédies
nouvelles qui doivent paroistre bientost sous ce mesme titre, sur les deux Theatres
François qui sont à Paris. Plusieurs Personnes veulent se persuader que celle qui doit
estre représentée par la Troupe de Guenegaud, part du mesme endroit d’où nous est venuë
<hi rend="i">la Devineresse</hi>, & ils le croyent par cette seule raison que la
Bassete est encor une matiere du temps. Ils font tort par là aux Autheurs de cette Piece,
à qui il n’est pas juste d’en oster la gloire. J’espere qu’il me sera permis de vous les
nommer, si-tost qu’elle aura paru. Tout ce que je vous en puis dire aujourd’huy, c’est
qu’un Gentilhomme de Bourges y a bonne part. Quant à la Bassete que nous promet l’Hostel
de Bourgogne, elle est de M<hi rend="sup">r</hi> de Hauteroche, Autheur du <hi rend="i"
>Crispin Musicien</hi>, qui vous a autrefois si bien divertie. </p>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_241" resp="mercure">
<head>Air nouveau</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 241-242.</bibl>
<p>Je vous envoye un second Printemps, qui vous fera voir ce que je vous ay dit déjà, que
les Amans se plaignent toûjours. Je ne vous puis dire ny qui a fait les Paroles, ny qui
les a mises en Air.</p>
<p><note resp="author" place="margin"><hi rend="i">Avis pour placer les Figures</hi> : l’Air
qui commence par <hi rend="i">Printemps, dequoy me servez vous</hi>, doit regarder la
page 241.</note></p>
<quote>
<label>Air nouveau.</label>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Printemps, dequoy me servez
vous ?</l>
<l>En vain vous étalez une beauté supréme,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Mon cœur ennuyeux à soy-mesme</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>N’en est pas moins sensible aux
coups</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>De la perte de ce qu’il aime.</l>
<l>Vous avez beau m’offrir vos plaisirs les plus doux,</l>
<l>Je rediray toûjours dans mon malheur extréme,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Printemps, dequoy me
servez-vous ?</l>
</quote>
<ref target="images/1680-04_241.JPG">
<figure>
<graphic url="images/1680-04_241.JPG"/>
</figure>
</ref>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_242" resp="mercure">
<head>[Paroles sur les Fleurs Printanieres]</head>
<bibl>
<title>Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 242-243.</title>
</bibl>
<p>Ces autres Paroles sont de Mademoiselle Castille, dont vous en avez déjà veu de
fort-agreables<note resp="editor">Voir <ref target="MG-1680-06_057">cet article et</ref> <ref target="MG-1680-06_209"> celui-ci</ref>.</note>. Elles sont aisées & naturelles, & mériteroient bien qu’on les mist
en Air.</p>
<quote>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>Ah,
qu’ils sont courts,</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space><space
rend="tab"> </space>Les beaux jours</l>
<l><space rend="tab"> </space><space rend="tab"> </space>D’une Fleur printaniere !</l>
<l>C’est ainsi que s’enfuit la saison des Amours.</l>
<l>Hastez-vous donc d’aimer, ô jeune Beauté fiere,</l>
<l>Hastez-vous, on n’est pas jeune & belle toûjours.</l>
</quote>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_254" resp="mercure">
<head>[Feste donnée par M. le Maréchal Duc de Vivonne]</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 254-261.</bibl>
<p>Il faut vous faire part d’une Feste, qui a esté donnée depuis peu à Madame la Comtesse de
Grignan, dont vous avez tant de fois entendu parler sous le nom de la belle Mademoiselle
de Sévigny. Elle estoit allée à Marseille, & souhaitoit avec passion voir le Chasteau
d’If. M<hi rend="sup">r</hi> le Duc de Vivonne, qui n’a pas moins de galanterie que de
bravoure, ne l’eut pas si-tost appris, qu’il fit équiper la Reale de tout ce qui estoit
nécessaire pour rendre cette promenade plus agreable. Ses cent Pavesades, Banderoles,
& Banieres à Fleurs de Lys d’or, furent arborées sur les Masts & sur les Bords. On
tapisssa la Poupe au dedans d’un Damas cramoisy à Fleurs violetes, & les Soldats sous
les armes attendirent le signal de leur Officier. Tout s’exécuta suivant les ordres
donnez. Si-tost que Madame de Grignan eut mis le pied sur la planche de la Galere, les
Trompetes & les Timbales commencerent à résonner, les Canons tirerent, & les
Soldats firent leur premiere Salve. La Reale fut salüée en passant de quatre coups de
Canon par les vingt-sept autres Galeres, & arriva au Chasteau d’If à deux heures apres
midy. Madame la Comtesse de Grignan, & toutes les Dames qui l’accompagnoient,
entrerent dans le Sallon qui avoit esté préparé pour les recevoir. Elles y trouverent une
Table à vingt Couverts, qui fut aussitost servie de quatre grands Bassins & de dix
Plats. On les releva cinq fois. Les Hautbois & les Violons divertirent tour-à-tour
cette aimable Compagnie pendant tout le temps qu’elle fut à table. A ce superbe Repas
succeda une Représentation sans machines, de l’Opéra de Bellérophon. La Symphonie en fut
admirable. Elle estoit conduite par le fameux M<hi rend="sup">r</hi> Besson le Pere, dont
la capacité & le talent pour la Musique se font admirer dans les Concerts de Violons,
qu’il donne tous les Jeudis chez M<hi rend="sup">r</hi> de Laffons. Dés que l’Opéra fut
achevé, les Dames rentrerent dans la Galere, & arriverent au Port à la lueur de plus
de deux mille Lampyons, qu’on avoit attachez sur les cordages des Mâts, & sur les
bords de cette Galere, & qu’on alluma sitost qu’il fut nuit. [énumération des
personnes qui étaient présentes].</p>
</div>
<div type="article" xml:id="MG-1680-04_323" resp="mercure">
<head>[Tenebres]</head>
<bibl><title>Mercure galant</title>, avril 1680 [tome 5], p. 323-325.</bibl>
<p>La Musique de Sa Majesté a excellé à son ordinaire pendant les jours de Tenebres, dont
l’Office a esté fait dans la Chapelle du Vieux-Chasteau de S. Germain. Leurs Majestez,
Monseigneur, & Madame la Dauphine, y ont assisté. Cette Musique est si bien exécutée,
& composée par de si habiles Maistres, que le Monde entier auroit peut-estre beaucoup
de peine à fournir autant d’habiles Musiciens qu’il y en a chez le Roy. Nous avons eu
aussi une tres-belle Musique à Paris dans les mesmes jours, & l’on a couru en foule à
la Sainte Chapelle & à l’Abbaye aux Bois. Ce qu’on entendit à la Sainte Chapelle,
estoit de M<hi rend="sup">rs</hi> Chaperon, la Lande, & Laloüete ; & à l’Abbaye
aux Bois, de M<hi rend="sup">r</hi> Charpentier. Je ne vous fait point icy de détail de la
Cerémonie de la Cene. Comme le Roy la fait tous les ans, & qu’elle est toûjours la
mesme, il est impossible que vous n’en soyez instruite. Je vous diray seulement que M<hi
rend="sup">r</hi> l'Abbé des Alleurs y a presché cette année avec l'applaudissement de
toute la Cour. Le Compliment qu'il fit à Sa Majesté charma tout le monde. Vous sçavez que
le Pere Bourdalouë Jesuite a presché devant Elle tout le Caresme. Sa réputation est si
bien & si justement établie, que le plus glorieux éloge qui luy puisse estre donné,
c'est qu'il presche toûjours également bien.</p>
</div>
</body>
</text>
</TEI>